Nous subissons actuellement de plein fouet les conséquences de la crise financière. Ainsi il n’est plus question que d’austérité et de coupures budgétaires. Avant la crise de 2008, les médias parlaient à peine d’économie. Mais force est de constater aujourd’hui qu’en dépit de la situation économique précaire, ils en parlent à peine plus. Cependant, doit-on les en blâmer ou sommes-nous les responsables de cet état de fait?

On ne sort décidément pas de la théorie de l’Agenda Setting, qui est de savoir si le discours de presse répond avant tout au désir du public ou si au contraire c’est le média qui décide des sujets. Dans le cas de la crise financière, un petit texte commence à circuler sur les médias sociaux. Le voici :

Sans nouvelles d’Islande : pourquoi ?
Si quelqu’un croit qu’il n’y a pas de censure actuellement, qu’il nous dise pourquoi on a tout su au sujet de ce qui se passe en Egypte, en Syrie ou en Libye, et pourquoi les journaux n’ont absolument rien dit sur ce qui se passe en Islande ?

En Islande,

– le peuple a fait démissionner un gouvernement au complet,

– les principales banques ont été nationalisées et il a été décidé de ne pas payer la dette contractée par ces dernières auprès de banques de Grande Bretagne et de Hollande, dette générée par leur mauvaise politique financière ;

– une assemblée populaire vient d’être créée pour réécrire la Constitution.
Et tout cela, pacifiquement.
Toute une révolution contre le pouvoir qui a conduit à cette crise.
Voilà pourquoi rien n’a été publié pendant deux ans.

Que se passerait-il si les citoyens européens en prenaient exemple ?
Brièvement, voici l’histoire des faits :
– 2008 : La principale banque du pays est nationalisée. La monnaie s’effondre, la bourse suspend son activité. Le pays est en banqueroute.
– 2009 : Les protestations citoyennes contre le Parlement font que des élections anticipées sont convoquées. Elles provoquent la démission du Premier Ministre et, en bloc, de tout le gouvernement.

La situation économique désastreuse du pays persiste. Par le biais d’une loi, il est proposé à la Grande Bretagne et à la Hollande le remboursement de la dette par le paiement de 3.500 millions d’euros, montant que paieront mensuellement toutes les familles islandaises pendant les 15 prochaines années à un taux d’intérêt de 5%.

– 2010 : le peuple descend à nouveau dans la rue et demande que la loi soit soumise à référendum.

En janvier 2010, le Président refuse de ratifier cette loi et annonce qu’il y aura une consultation populaire.

En mars, le référendum a lieu et le NON au paiement de la dette remporte 93% des voix.

Pendant ce temps, le gouvernement a entamé une investigation pour régler juridiquement les responsabilités de la crise.

Les détentions de plusieurs banquiers et cadres supérieurs commencent.

Interpol lance une enquête et tous les banquiers impliqués quittent le pays.

Dans ce contexte de crise, une assemblée est élue pour rédiger une nouvelle Constitution qui reprend les leçons apprises de la crise et qui se substitue à l’actuelle qui est une copie de la constitution danoise.

Pour ce faire, on a recours directement au peuple souverain.

On élit 25 citoyens sans filiation politique parmi les 522 qui se sont présentés aux candidatures. Pour cela, il faut être majeur et recueillir le soutien de 30 personnes.

– L’assemblée constituante commence ses travaux en février 2011 afin de présenter, en partant des avis collectés dans les diverses assemblées qui ont eu lieu dans tout le pays, un projet de Grande Charte.

Elle doit être approuvée par l’actuel parlement ainsi que par celui qui sera constitué après les prochaines élections législatives.

Voici, en bref, l’histoire de la Révolution Islandaise :

– Démission en bloc de tout un gouvernement

– Nationalisation de la banque

– Référendum pour que le peuple puisse se prononcer sur les décisions économiques fondamentales

– Emprisonnement des responsables de la crise

– Réécriture de la constitution par les citoyens

Nous a-t-on parlé de cela dans les médias européens ?

En a-t-on parlé dans les débats politiques radiophoniques ?

A-t-on vu des images de ces faits à la TV ?

Bien sûr que non !

Le peuple islandais a su donner une leçon à toute l’Europe en affrontant le système et en donnant une leçon de démocratie au reste du monde.

 

Comme on le voit l’auteur critique les médias qui n’auraient pas traité des évènements exceptionnels qui se sont déroulés en Islande.

J’ai fait quelques vérifications sur Internet et la plupart des arguments avancés dans ce texte sont vrais. Cependant, à la décharge des médias, il faut avouer qu’ils ont parlé « un tout petit peu » de l’Islande, comme le montre ce site :  http://www.hoaxbuster.com/forum/sans-nouvelles-de-l-island-pourquoi

On ne peut donc pas parler de censure, surtout qu’il s’agit d’un minuscule pays. Il faut ajouter que celui-ci a été totalement ruiné par ses banques. Ce n’est pas comparable avec la situation des autres nations, qui souffrent mais ne sont pas « encore » en banqueroute. Donc la réaction en Islande est plutôt logique. En outre, tout cela s’est déroulé sur plusieurs années et non en quelques jours, ce qui atténue le caractère exceptionnel de l’évènement, chose indispensable pour que nos médias regardent un peu ce qui se passe ailleurs.

Bref, les médias auraient pu en parler davantage mais vu que tout ce qui nous intéresse c’est Britney Spears et Lady Gaga, il ne faut pas trop leur en demander…

Il ne reste plus qu’à en faire une vidéo de 30 mn, la poster sur youtube et attendre qu’elle atteigne les 100 millions de visionnement en une semaine. Et là on verra s’ils n’en parlent toujours pas!

 


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.