Ah! Un nouveau billet traitant de cette fameuse relation entre les journalistes et les relationnistes! Certes! Mais il était temps que j’aborde la question des relations publiques puisque j’adopte dans ce blogue une attitude critique des médias, bien que celle-ci se veuille constructive.

Quel relationniste ne s’est jamais plein d’avoir été mal cité par un journaliste? Inversement, quel journaliste ne se plaint pas des relationnistes? On pourrait entrer dans ce petit jeu et se demander qui a le plus tort. Le méchant relationniste qui tente de « manipuler » le vertueux jounaliste ou inversement le journaliste « fainénant » qui fait mal son travail et nuit au travail des braves relationnistes? Mais nous préférons plutôt adopter la posture de Bernard Dagenais, professeur à l’Université Laval, qui lors d’une causerie réalisée par la Chaire en relations publiques de l’UQAM il y a quelques années, avait brillamment démontré à quel point les médias étaient devenus « relationo-dépendants ».

En effet, force est de constater, comme j’en ai parlé dans ma dernière chronique, que le journalisme est en crise. Quelle était dure cette simple constatation de Daniel Schneiderman (journaliste au Monde et présentateur de l’excellente émission de la télévision françaises hélas disparue Arrêt sur images) qui remarquait juste avant l’élection présidentielle française que seul le Canard Enchaîné (un hebdomadaire satirique français) s’était donné la peine de réaliser une simple enquête de base sur le patrimoine des candidats. Les journalistes du Canard s’étaient simplement rendus dans les mairies des villes des candidats pour voir ce qu’ils possédaient réellement et ce qu’ils préféraient éviter de livrer à l’attention des citoyens. Cette petite recherche allait faire vaciller Nicolas Sarkozy, celui-ci ayant manifestement bénéficié de tarifs très privilégiés pour l’achat de son fameux appartement de l’Ile de la Jatte, à Neuilly. Il ne s’agissait pas d’une grande enquête, comme on entend par exemple aujourd’hui parler sur les finances et les arrangements qui ont cour au Conseil général des Hauts-de-Seine (département où se trouve la ville de Neuilly, dont le maire était Nicolas Sarkozy. Rappelons que l’actuel président de la république a également été longtemps le président du Conseil général). Une véritable leçon de journalisme… qui montre à quel point celui-ci va mal. Aucun autre média français n’avait eu l’idée de réaliser ce genre d’enquête. Et l’on pourrait citer de nombreux autres cas sans difficulté.

Les médias n’enquêtent plus. Par manque de moyens ou par manque de volonté (il ne faudrait pas contrarier le propriétaire du journal, qui possède souvent dans le même temps d’un empire financier et/ou industriel). Du coup, voilà que les relationnistes ont le champ libre. Et qu’ils deviennent créateurs de nouvelles. Portez-y attention en lisant votre journal favori : combien de nouvelles émanent-elles du dynamisme des journalistes (on exclut bien sur le sport et les rubriques « people »)? Peu, très peu. La plupart des nouvelles sont directement issues de communiqués de presse. A tel point que les entreprises comptent désormais le nombre de nouvelles qu’elles ont contribué à créer. Et font des ratios par rapport au nombre total de nouvelles qui les touchent. Et les résultats sont très souvent largement en leur faveur!

Les journalistes peuvent s’en plaindre mais les faits sont là : ils sont devenus en quelques années de simples relayeurs d’information… et les relationnistes leurs sont devenus indispensables pour écrire leurs nouvelles. Et surgit une véritable menace pour la démocratie. Car si les journalistes se prétendent un peu pompeusement les « chiens de garde de la démocratie », les relationnistes ne cherchent pas ce qualificatif. Rappelons qu’ils sont au service de leurs entreprises, et que les objectifs de celles-ci peuvent parfois différer de celui de l’intérêt général. Sans journalistes faisant leur travail, c’est à dire enquêtant, les compagnies et les gouvernements ont les mains quasiment libres. On le découvre actuellement dans le dossier de la construction au Québec. Et le réveil est assez brutal.

Comme le rappelait Bernard Dagenais lors de sa conférence, souvenons-nous des conditions dans lesquelles les États-Unis ont pu déclarer la guerre à l’Irak en 1990 : en mentant de façon éhontée (tout comme en 2003 d’ailleurs, ce qui prouve que cet évènement n’a absolument pas servi de leçon). Ils ont fait déclarer à une koweïtienne (le Koweït était alors occupé par l’Irak) devant l’Assemblée générale de l’ONU que les soldats irakiens jetaient à terre dans les hôpitaux les bébés koweitiens qui se trouvaient dans leurs couveuses!

(http://foreignpolicyanalysis.blogspot.com/2010/01/laffaire-des-couveuses-dans-la-guerre.html)

Aucun journaliste n’a alors enquêté pour savoir: 1/ qui était cette jeune fille : ils auraient alors appris qu’il s’agissait de… la fille de l’ambassadeur du Koweït aux États-Unis! 2/ si les faits étaient bien réels (hélas c’était un mensonge éhonté). Cette « révélation » allait déclencher une indignation de l’opinion publique américaine, qui allait alors se déclarer favorable à la guerre. Rappelons que cette « campagne de communication » avait été orchestrée par un cabinet de relations publiques de renommée mondiale. Et que celui-ci continue d’offrir ses services au tout venant, comme si de rien n’était.

Il est alors facile aux journalistes de se plaindre des relationnistes. Déjà, qu’ils commencent par faire leurs devoirs en vérifiant les informations qu’on leur délivre. Trop, beaucoup trop de choses fausses ou non vérifiées sont transmises par leur biais. Autrefois, la « règle des deux sources » permettait de limiter considérablement les erreurs. Chaque information devait en effet être confirmée par une deuxième. Certes, à l’ère d’Internet et des stations d’information en continu, il devient difficile d’attendre, afin de s’assurer de la « primeur de la nouvelle ». Au risque cependant de diffuser des informations erronées. Comme on le voit, cette évolution doit conduire les médias à réaliser une profonde réflexion sur eux-mêmes. Mais on a plutôt l’impression d’assister à une sorte de fuite en avant…

Bref, il apparaît que le débat journalistes vs relationnistes est en partie dépassé à l’heure actuelle. On aimerait pouvoir n’avoir comme soucis que le « caractère difficile » des journalistes ou les « manières controlantes » des relationnistes. Hélas, quand on voit l’état de nos médias, on se rend compte qu’il est urgent que la presse procède à son auto-critique. Il y a pourtant quelques succès. Le site français Médiapart par exemple, qui propose un retour aux sources journalistiques en se recentrant sur le journalisme d’investigation. Mais cette expérience reste limitée et les grands médias continueront de dominer encore longtemps, en dépit de leurs cris contre ces blogues et autres médias sociaux qui viendraient leur gruger des parts de marché.

A moins que… A moins qu’un mouvement citoyen ne naisse, pourquoi pas grâce aux médias sociaux, et que naisse un journal citoyen, qui pourrait être une coopérative, ce qui en garantirait le financement et l’indépendance. Le Québec est un modèle en ce qui a trait à la coopération et la création d’une « coopérative médiatique » pourrait faire partie de la solution.


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.