De plus en plus le livre numérique retient l’attention des médias. Mais la résistance s’organise : Derrière Beigbeder qui s’insurge contre un  tel outil, nombreuses sont les personnes qui se déclarent quasiment choquées que l’on puisse imaginer lire sur un support électronique. Mais surtout, à y regarder de plus près, on se rend compte qu’à l’heure actuelle le livre électronique fait face à de nombreuses limites. Alors, les technophobes ont-ils vraiment raison de s’inquiéter?

 


Le livre électronique, une révolution?

Comme beaucoup de choses aujourd’hui, il est de bon ton de parler de « révolution » lorsque l’on parle de l’avènement du livre électronique. Après des débuts en fanfarre il y a déjà plusieurs années de cela, le livre électronique avait pourtant connu de sérieuses limites, les lecteurs semblant peu désireux de lire sur un écran… et de devoir payer pour le lecteur (la tablette). Mais l’arrivée de la dernière génération de tablettes numériques a changé la donne et il devient très « trendy » de lire un livre numérique sur son iPad (il faut bien qu’il serve le bougre car il coûte tout de même plus de 500$ )! Il n’y a pourtant aucune révolution là-dedans puisque lire des livres sur un support électronique se fait depuis plus de 10 ans!

Le livre électronique, une offre trop limitée

Selon moi, Google a fait beaucoup plus en numérisant des bibliothèques entières (pratique certes très contestée) et en rendant les contenus accessibles gratuitement sur un ordinateur connecté à Internet. Au grand dam des éditeurs d’ailleurs. Car c’est bien là le plus important frein au développement du livre électronique : La frilosité des éditeurs qui craignent que des copies illégales se promènent un peu partout, un peu comme les MP3 et les films. Du coup, très peu de titres sont disponibles. Faîtes un tour sur les sites des plus grandes librairies et vous constaterez que l’offre est extrêmement limitée. Ce qui est un comble.

En effet, j’aurai tendance à penser, comme Beigbeder, que le lecteur préfèrera encore pour un certain temps une version papier à une version électronique (même si personnellement lire à l’écran ne me dérange absolument pas). Beaucoup de gens, notamment les personnes de plus de 40 ans, celles qui lisent le plus, se déclarent incapables de lire un livre sur un écran. Cependant, je vois d’innombrables avantages au livre électronique, mais à l’heure actuelle on ne peut vraiment en profiter et le livre garde donc une longueur d’avance. En effet :

  • Le coût du livre électronique devrait être beaucoup moins élevé que celui des livres ordinaires car il n’y a plus de frais d’impression et de transport. Cependant, je remarque avec surprise que c’est loin d’être le cas. Généralement, versions papier et électronique sont vendues au même prix. Pourtant, il ne s’agit généralement que de fichiers PDF à télécharger!
  • La disponibilité des ouvrages devrait être exceptionnelle car des livres qui sont introuvables ou en rupture de stock et dont on ne sait pas s’ils seront un jour réédités, pourront quasiment en un click être consultables depuis n’importe où sur la planète. Là encore, grande déception puisqu’un nombre extrêmement limité d’ouvrage est disponible. Recherchez Harry Potter (qui s’adresse pourtant aux jeunes, friands d’électronique, mais ceci explique peut-être cela, nos chères têtes blondes n’étant pas les dernières à s’adonner au téléchargement illégal), vous serez surpris que l’une des sagas les plus vendues au monde n’e soit pas disponible en format électronique (au Québec en tout cas). Il est d’ailleurs étonnant de voir que sur leurs sites Internet les libraires ne mettent pas en avant le livre électronique! Il est souvent assez difficile de trouver l’endroit où en acheter.
  • L’instantanéité est très prometteuse car il est frustrant de voir des livres sortir dans d’autres pays et devoir attendre parfois 6 mois avant qu’ils n’arrivent dans nos librairies (j’allais dire sur nos tablettes!). Et encore, rien n’assure que le livre en question sortira un jour. Mais une fois encore, le nombre extrêmement limité des ouvrages réduit cet avantage à néant. Et qui dit qu’une version disponible en France ou aux USA le sera automatiquement à l’étranger? Il y a des moyens d’empêcher des ventes hors du pays en retraçant les adresses IP.
  • Il ne sera plus nécessaire de parcourir plusieurs librairies pour trouver un ouvrage dont il ne reste plus que quelques exemplaires dans la région, ce qui est plus ou moins vrai car les grandes libraires indiquent l’état de leur stock sur leurs sites Internet.
  • Contrairement à ce que l’on entend, l’achat électronique peut apporter de formidables idées de lecture. A la consultation de la fiche d’un ouvrage, les sites Internet des librairies en ligne proposent désormais des choix d’autres lectures, qui sont souvent pertinents. On retrouve cette idée d’aller dans une librairie ou dans une bibliothèque et de regarder les autres livres autour de l’ouvrage que l’on veut se procurer.
  • On pourrait avancer qu’avec le livre électronique, on réduira la déforestation. Cependant, la fabrication des lecteurs est très polluante et de ce que j’en ai lu, il faudrait lire une quantité astronomique de livres pour que cela devienne écologiquement rentable. Dommage!

Le livre électronique, beaucoup de battage pour rien?

Le livre électronique a donc selon moi de très grands avantages que les « technophobes » devraient prendre en considération avant de le condamner purement et simplement. Mais les limites actuelles, notamment la très grande limitation du nombre d’ouvrages, réduisent quasiment son intérêt à néant.

En fait, le livre électronique est présent mais son impact est très limité. Cela pourrait bien sur changer mais actuellement il apparaît que l’on fait beaucoup de battage pour un « phénomène » qui existe depuis plus de 10 ans et qui fait face à d’importantes restrictions qui limitent fortement son développement. En fait, le livre numérique est entre les mains des éditeurs et c’est eux qui décideront de son avenir. Alors, les médias en font-ils trop à ce sujet?

 


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.