Ayant été très occupé ces derniers temps, je n’ai pas encore eu le temps de faire le bilan des élections alors que j’y ai consacré plusieurs posts. Il était temps que cela soit fait. Même si beaucoup de gens se sont exprimés à la suite des élections, je me permets de vous donner ici mon avis sur cette campagne : l’écrasante victoire des conservateurs, le rôle des médias et les suites au Québec.
Une campagne qui s’est jouée dès les premières heures
Et ce bilan, il est cruel pour les partis d’opposition. Rappelons que ce sont eux qui ont déclenché l’élection. Et alors que le gouvernement conservateur était minoritaire, le voici dorénavant majoritaire. Un échec sidérant!
Celui-ci s’est en fait joué dès les premiers instants de la campagne. Comme je le disais dans un post précédent, l’enjeu décisif pour l’opposition était de faire comprendre aux citoyens que cette élection n’était pas déclenchée pour des raisons politiciennes en refusant le budget mais pour « outrage au parlement ». Il était important que le message passe au cours des premières heures, afin de donner le ton à la campagne. Mais les partis d’opposition n’ont pas réussi, il en a été à peine question.
Stephen Harper a ensuite été dans l’eau chaude quelques heures lorsque Gilles Duceppe, le chef du Bloc Québécois, a révélé que Stephen Harper avait passé une entente avec lui pour réaliser une coalition quelques années plus tôt. M. Harper a semblé vaciller pendant quelques heures. Puis… plus rien! Le calme plat.
En fait, on a eu l’impression que les partis d’opposition n’étaient absolument pas prêts à partir en campagne, ce qui est tout de même étrange quand on déclenche soi-même les élections! Les Conservateurs, eux, étaient prêts, merci pour eux.
Le mythe de l’économie
Il est vrai que M. Harper est un stratège hors pair. J’ai entendu dire qu’il pensait à la stratégie sans cesse. Sa plus grande réussite selon moi, n’est même pas qu’il ait réussi à s’en sortir avec une facilité déconcertantes des affaires que je viens d’aborder mais bien… qu’il ait réussi à ériger au rang de dogme le fait que son gouvernement méritait un A en économie. Les médias se sont contentés de rapporter cette nouvelle alors que l’opposition n’a jamais paru capable de dénoncer ce discours.
Pourtant il y a beaucoup à dire. L’économie va-t-elle si bien? Rien n’est moins sur : le chômage baisse, oui, mais cette diminution est totalement mécanique : étant donné que l’allocation chômage est de un an, il est logique que les chiffres diminuent au bout d’un an ou 18 mois après la crise financière car le nombre de gens radiés des listes est extrêmement élevé. Mais personne n’a relevé ce fait.
Il faut aussi regarder de près les données : le chômage baisse mais est-ce du à des créations d’emplois ou simplement grâce aux départs à la retraite, qui se font de plus en plus nombreux puisque les baby-boomers atteignent désormais la soixantaine? Et dans ces créations d’emplois, combien sont à temps plein versus à temps partiel? Combien sont à durée indéterminée versus ceux qui sont des contrats à cour ou moyen terme? Les chiffres de la croissance sont-ils vraiment bons? Personne n’en parle, comment le savoir?
Puis l’affaire Cantat (que tout le monde a déjà oublié) a éclaté et il n’a plus été question de la campagne jusqu’au débat. Entre temps, Stephen Harper avait bien pris le soin de gagner quasiment chaque journée média en annonçant des mesures comme le remboursement à 50% des factures d’activités physiques pour les adultes. Je me rappelle d’avoir entendu Mario Dumont se féliciter d’être le gagnant du budget conservateur car ça lui coûterait moins cher d’inscrire sa fille à la musique!
Le débat relance la campagne
Alors que cette campagne comportait des enjeux majeurs, comme par exemple le financement des partis politiques, la suppression du registre des armes à feu ou la réduction de l’impôt sur les sociétés, elle n’a suscité aucun intérêt. Tout ce que chroniqueurs et journalistes trouvaient à dire était que la population était « tannée » d’être encore en élection.
Heureusement (ou malheureusement, cela dépend des points de vue), une chômeuse de la Maurice, Madame Paillé, allait redonner un second souffle à la campagne. Au cours du débat, elle surprit tout le monde en disant que sa principale préoccupation était… de trouver un emploi. Et voilà une campagne relancée!
Hélas, les trois chefs d’opposition, qui n’avaient pas de mots assez durs à l’endroit de Stephen Harper, se sont fait prendre en photo en sa compagnie, poignée de main et grands sourires compris. Quel message envoyé aux électeurs! On leur explique que M. Harper est le diable incarné et les voici qui s’acoquinent avec lui! Dans ces conditions, on comprend que les conservateurs aient tout raflé.
Car le grand résultat de cette campagne, ce n’est pas la montée du NPD au Québec mais bien le fait que les Conservateurs sont majoritaires pour 5 ans aux Communes. Bertrand Cantat restera chez lui mais les canadiens resteront avec ce gouvernement de nombreuses années. M. Harper a désormais tout son temps pour passer toutes les réformes qu’il n’a pas pu mener lorsqu’il était minoritaire.
J’écris ce texte le 6 juin 2011, quelques jours seulement après le dépôt du budget. Un budget « tranquille », qui me rappele le premier qu’il avait déposé il y a 4 ans. Un budget pour ne pas effrayer, tenter de faire croire que l’on est le premier ministre de « tous » les canadiens. Mais très vite arriveront les vrais dossiers et l’on verra vraiment de quoi est capable ce gouvernement. Je n’hésite pas à le dire ici : la suppression du financement des partis politiques (au nom de la « valeur travail » et de la fin de l’assistanat) est une hérésie. On voit au Québec toutes les dérives auxquelles conduisent un financement des partis par le privé. Mais les canadiens ont tranché!
Et les médias?
Au milieu de tout cela, on en oublierait le rôle qu’ont joué les médias. Il a bien sur été majeur, quoiqu’en disent les « stratèges web 2.0 » et autres « experts médias sociaux ». D’ailleurs, après cette campagne, la question est bien de se demander « où étaient les médias sociaux ». Hormis le fameux Denis Coderre, très présent sur Twitter, ils n’ont quasiment pas été utilisés. Ils me semblent même en recul : des groupes Facebook avaient été créés il y a deux ans lorsque M. Harper pour équilibrer le budget avait décidé de supprimer le financement des partis politiques (déjà). Cette année, comme on l’a vu, les élections ont été tranquilles.
On peut cependant tirer un coup de chapeau aux médias québécois qui ont plus qu’ailleurs réalisé l’enjeu de cette campagne. Cela a eu pour résultat une très forte participation aux élections qu Québec et a conduit les québécois à choisir le NPD plutôt que le Bloc afin de faire barrage aux conservateurs. Il y a bien sur des exceptions, comme The Gazette, qui estime que les québécois ont voté comme des « adolescents ». The Gazette a perdu là une belle occasion de se taire. Selon elle, une façon mature de voter aurait donc été de voter conservateur?
Car ce qui m’a surpris lors de cette élection, ce sont les prises de position de journaux qui se déclarent pourtant « objectifs ». Ainsi, je ne sais plus si le National Post ou le Globe & Mail, qui s’est déclaré en faveur des conservateurs, en gros car « l’économie va bien ». J’en suis tombé des nues!
Une campagne tranquille pour les Conservateurs… mais pas inactive
A noter également : l’incroyable campagne médiatique réalisée quelques heures avant le scrutin afin de discréditer Jack Layton en publiant des articles laissant entendre qu’il aurait eu un comportement pas très moral dans un salon de massage de Toronto. On peut bien sur en rire tant le procédé est grossier et lamentable mais cela a d’énormes conséquences : j’ai rencontré peu avant le vote qui déclaraient que jamais ils ne voteraient pour le « nudiste »! En fait, on peut se demander comment les médias peuvent diffuser de telles informations à quelques heure d’un scrutin majeur. C’est tout simplement incroyable. Il serait bon d’en savoir plus à ce sujet, de savoir qui a transmis les documents aux médias et qui parmi ceux-ci a donné l’ordre de les publier.
C’est qu’en matière de mauvais coups, les Conservateurs ne sont pas en reste, multipliant les campagnes négatives et en tentant de discréditer dès que possible leurs adversaires, comme en témoigne cet article.
Un Bloc à terre et des libéraux transparents
The Gazette aurait pu davantage se réjouir de la « chute du Bloc ». Ce que n’ont pas manqué de faire tous les fédéralistes, qui ont annoncé en grande pompe la mort de la souveraineté. Mais je pense qu’ils se trompent et qu’ils auront une mauvaise surprise lors des prochaines élections. Au contraire, leurs propos ne peuvent qu’attiser la flamme des souverainistes. Cependant, la situation du Bloc est délicate : en devenant un parti « régulier » aux Communes, il a perdu son identité. Il doit rebâtir un projet qui justifie sa présence à Ottawa. Également, si le retrait de M. Duceppe était confirmé, il faudrait retrouver un chef charismatique, et l’on sait combien cela est difficile…
Dans tout cela, je n’ai même pas parlé des libéraux! Il faut dire que si les critiques estiment qu’ils ont fait une plutôt bonne campagne, celle-ci a été clairement insipide et sans saveur. Aucune vision, aucun projet… Un chef que personne ne connaissait et que tout le monde a déjà oublié… M. Ignatieff a finalement réussi à faire pire que Stéphane Dion, tout en évitant les critiques que ce dernier a subi. C’est au moins ça de pris!
Les conséquences au Québec et la montée de Legault
Les chroniqueurs ont bien sur tous fait état de leur analyse quand aux suites à donner à ces élections au Québec. Pour certains, la souveraineté étant morte, le Parti québécois va s’effondrer. Jean Charest et les libéraux semblent donc bien au chaud, même si leur côte de popularité est au plus bas. Plusieurs voient M. Legault comme le sauveur du Québec. Son projet de parti de droite fait saliver. L’analyse est simple : les québécois sont « tannés » des partis traditionnels et sont prêts à voter pour n’importe qui. Ceux qui pensent ainsi prennent l’exemple du NPD… Ils estiment donc que François Legault a toutes ses chances.
Sauf que… le NPD est un parti de gauche et que le choix des québécois pour ce parti montre clairement une chose : le Québec est à gauche. Et c’est donc logiquement que l’on apprend que M. Legault recentrerait son parti… Mais l’espace est là et il y aurait donc largement la place pour un parti de centre gauche au Québec. Il y a bien sur Québec Solidaire. Mais on peut se demander si le retour du NPD sur la scène politique québécoise n’aurait pas quelque chose de rafraîchissant.