Suite à mes billets sur l’influence des blogues et médias sociaux dans lesquels je m’interrogeais sur leur impact réel, je vous conseille vivement d’aller jeter un coup d’œil à cette étude réalisée par le Project for Excellence in Journalism, intitulée The State of the News Media 2010. Vous en obtiendrez ici un résumé en français : http://mediabiz.branchez-vous.com/2010/03/letat_des_medias_selon_pew.html.

Comme je le pressentais, voici ce qu’en dit sur son blogue Romain Bédard, de Branchez-vous.com : « vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’en ligne, ce sont les médias traditionnels qui mènent le jeu. En fait, la force en information des nouveaux médias dépend dangereusement de celle des anciens ». Il apparaît en effet que la plupart des gens qui vont sur Internet pour s’informer ne vont que sur quelques sites. Et ceux-ci appartiennent quasiment tous à de grands groupes de presse! Autant dire que l’impact des blogues est extrêmement limité et que l’impact des médias traditionnels, loin de diminuer, se retrouve renforcé.

En fait, le même processus se répète avec ce que l’on avait constaté lors de l’émergence de la « Nouvelle économie », à la fin des années 1990. Je peux d’autant mieux m’exprimer à ce sujet que mon mémoire de maîtrise (disponible à la bibliothèque de l’UQAM pour les personnes intéressées, encore qu’il est souvent emprunté! 🙂 ) portait justement là-dessus : au début, de nouveaux joueurs occupent l’espace. Mais très vite les grands groupes arrivent et les petits qui étaient là, à quelques rares exceptions, ne peuvent tenir longtemps la comparaison et sont balayés.

Le même schéma se reproduit dans les années 2000 avec l’information. Grâce aux blogues, il devient facile de mettre rapidement de l’information en ligne, même si l’on ne dispose d’aucune compétence technique. Et ce, gratuitement, ou presque. Mais ces blogueurs, à quelques exceptions près, restent inconnus du grand public et manquent cruellement de moyens. Ils ne peuvent rivaliser avec les grands groupes de presse, qui au final s’accaparent la quasi-totalité de l’audience.

On nous dit sans cesse qu’Internet condamne quasiment les médias traditionnels. Pourtant, comme on le voit, c’est plutôt une chance pour eux. Les versions papier coutent très cher tandis que le visionnement d’une nouvelle sur Internet est très rentable grâce à la publicité. L’avenir de la presse écrite passe donc quasi inéluctablement par le web. Avec la crise financière, qui est la véritable raison de la crise actuelle des médias (il est intéressant de noter que les années précédant la crise, le niveau des recettes publicitaires des médias avait augmenté quasi exponentiellement, ce qui les avait rendus extrêmement dépendants de ce type de revenus), les recettes de publicité ont diminué ce qui a forcé certaines publications à cesser de distribuer une version imprimée pour se concentrer uniquement sur la version électronique. Pourquoi? Tout simplement car c’est beaucoup plus rentable… même si le site est gratuit. Les coûts d’impression et de distribution sont extrêmement élevés tandis que mettre une nouvelle en ligne ne coûte quasiment rien. C’est tellement rentable que la stratégie des médias est de vous faire visionner le plus de pages possibles… car c’est autant de publicités en plus qui s’affichent, et qui rapportent. Plus vous visionnez de pages et plus le média fait des affaires. Et pendant tout ce temps, vous n’êtes pas sur un blogue.

En fait, le danger de ce que l’on appelle le « web 2.0 » est surtout réel pour les organisations. Un groupe Facebook appelant au boycott ou dénonçant certaines pratiques peut connaître un succès rapide et nuire à la réputation. Cependant, là encore, le phénomène semble limité. Combien de groupes constitués sur des médias sociaux ont-ils véritablement nui à de grandes sociétés? Il serait  intéressant de réaliser des études s’intéressant à l’impact réel de la création de tels groupes.

Bref, l’émergence du web 2.0 ne constitue pas une réelle menace, ni pour les organisations, ni pour les médias. Au contraire, il s’agit bien là pour eux d’une opportunité. Bien utilisés, les médias sociaux peuvent beaucoup leur apporter. Ils permettent notamment d’être proches de leur clientèle, de pouvoir la cibler avec précision et de réaliser cette fameuse « communication bidirectionnelle » grâce à laquelle ils obtiendront un important « feedback » . Mais encore faut-il bien utiliser ces nouveaux outils et être conscient aussi bien de leurs potentiels que des risques qu’ils peuvent générer.


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.

1 commentaire

Marc JESTIN axelere · 12 avril 2010 à 10 h 23 min

Bonjour,

Je rejoins une règle au moins dans votre approche : Les nouveeautés sont vite adoptées par les poids lourds lorsqu’ils constatent qu’elles peuvent être exploitées à leur profit et ils en prennent et gardent le contrôle ou les usages).

En précisant qu’il y a toujours quelques out-siders, champions dans la catégorie des challengers et qui, parfois, du fait de la pertinence de leur modèle, leur obstination, etc. sortent du lot voire :

1. modifient significativement ou prennent une place significative dans le paysage.
2. prennent les devants et dessus. J’aime toujours à rappeler l’aventure WalMart et quelques autres qui n’existaient pas et sur lesquels on ne pariait pas dans des temps encore fort récents (exemple des MDD qui, lorsque j’avais déjà l’âge de conduire une mobylette, n’avaient quasiment pas de crédit).

Tout dans ce monde n’est que l’illusion de ce qu’on veut bien en faire… Et dures réalités.

Les deux thèses se défendent.

Ce qui est certain, c’est qu’avec l’évolution (hyper concentration) actuelle de la répartition des richesses et des pouvoirs, en effet, on peut imaginer qu’un petit nombre exploitent tous les bons créneaux.

Puisque nous sommes dans les thèses extrêmes, je vous propose celle dans laquelle les aveugles éblouis par les paillettes et les annonces clignotantes ouvrent les yeux…
Aïe, mais non, mais vous êtes fous ??? 😉

À l’inverse, le monde dans lequel les groupes de presse sont contrôlés par les actionnaires et les donneurs d’ordre (publicitaires) qui peuvent interdire la diffusion de reportages n’existe — évidemment — pas.

« Bref, l’émergence du web 2.0 ne constitue pas une réelle menace, ni pour les organisations, ni pour les médias. »

Au plaisir en tous cas d’accompagner les entrepreneurs et entreprises au sens large qui ont une approche du monde pas trop naïve ^^,

Marc JESTIN
Consultant formateur
Business Development

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