Il est étonnant de faire une référence à la célèbre formule « le roi est mort, vive le roi », en parlant de campagne électorale! Mais après tout, le Canada n’est-il pas une monarchie constitutionnelle?
Campagne électorale – Bertrand Canta : Le duel
Tout cela pour dire que l’on a bien cru que la campagne électorale était bien morte et enterrée. Enterrée par… Bertrand Canta. Il n’a plus été question que de cela la semaine passée. Une véritable « éclipse médiatique » comme dit Jean-François Dumas, le patron d’Influence Communication. Il a tout simplement été impossible d’entendre autre chose que cela, que l’on regarde le téléjournal, que l’on écoute la radio, ou que l’on lise les journaux. En fait, c’est là que l’on comprend l’un des intérêts d’Internet et sans doute la désaffection grandissante des médias traditionnels : grâce aux réseaux, il est possible de ne pas subir certains « délires médiatiques ».
J’y vais peut-être un peu fort mais je pense que les médias ont clairement eu un bug la semaine passée : il se déroule des évènements exceptionnels, comme la campagne électorale fédérale (vous me dire que les mauvaises langues affirment le contraire puisqu’il y a en moyenne une élection fédérale aux 2 ans, mais tout de même!), l’accident nucléaire à la centrale de Fukushima, le printemps arabe, l’action française en Cote d’Ivoire, et j’en oublie. Que l’on consacre une brève à l’affaire Cantat pour dénoncer ce camouflet aux femmes, soit. Mais en faire plus frise le ridicule, surtout vu les enjeux actuels.
Une campagne sans enjeu
C’est que comme je le disais dans mes posts précédents, la campagne actuelle comporte de nombreux enjeux essentiels pour notre démocratie. Les Conservateurs sont très proches d’obtenir la majorité des sièges au Parlement. Que l’on s’en félicite ou s’en inquiète, il est clair qu’un évènement pareil aura d’importantes répercussions.
Il n’y a qu’à penser au financement des partis politiques, que le Parti conservateur veut supprimer. Les conséquences d’une telle décision sont énormes et malheureusement les citoyens peinent à en mesurer l’impact. Et ce n’est pas tout, car bien d’autres choix de société seront pris, comme la suppression du registre des armes à feu. Qu’il soit inefficace n’est même pas la question. C’est essentiellement un choix partisan : les électeurs votant conservateurs étant majoritairement contre, le parti conservateur est logiquement en faveur de sa suppression. Mais c’est une gifle sans précédent envoyée aux personnes qui militent pour une société moins dangereuse.
La fiscalité risque également de beaucoup évoluer. Depuis qu’ils sont au pouvoir, les conservateurs n’ont pas pris directement de mesures en faveur des riches et des entreprises. Ils y sont allé graduellement. Par exemple en baissant de 2 points la TPS. Sachant que les produits de base sont exonérés de TPS, cette diminution était donc un cadeau aux gens aisés. Un cadeau qui coûte cher puisqu’il explique en partie le déficit actuel du gouvernement fédéral. Mais ce n’est qu’un début : pour soutenir davantage la croissance économique, les conservateurs ont décidé dans leur dernier budget de diminuer l’impôt aux sociétés. On imagine sans mal que si les conservateurs devenaient majoritaires, cette politique serait poussée plus avant. Avec sans doute une réduction des services pour revenir à l’équilibre budgétaire.
La culture risque également de souffrir avec d’importantes compressions. Et quand l’on sait que la culture c’est l’identité d’un peuple, on voit jusqu’où l’on peut se rendre.
Des conservateurs majoritaires, ce sera également un renforcement de l’arsenal judiciaire et de l’armée. Le débat sur l’achat des fameux F-35 sera terminé tandis que M. Harper pourra passer sa loi sur l’emprisonnement des jeunes à 14 ans. Et évidemment, les personnes en faveur de l’avortement, ainsi que les gays, devront se battre pour préserver leurs droits.
Rappelons que les Conservateurs ne sont pas tombés à cause du budget mais pour « outrage au Parlement ». Ceux-ci ont tendance à cacher de l’information au public. Ils freinent les demandes d’accès à l’information déposés par les journalistes, comme le dit dans cet article madame Gagnon, journaliste à La Presse. Une majorité conservatrice viendrait donc consacrer cette stratégie du secret.
Des enjeux énormes, des médias absents
Les enjeux sont donc tout simplement énormes. Mais les médias traitent cette campagne comme si elle n’avait aucun intérêt. Cela en est sidérant. Jean-François Dumas expliquait d’ailleurs ce matin à l’émission de Christiane Charette que la couverture de la présente campagne est 38% moins élevée que celle de la précédente! J’ai été estomaqué de lire dans l’éditorial d’un hebdomadaire local (Journal Le Courrier, 12 avril 2011), que « pour cette élection il n’y a pas de grands enjeux politiques ». J’ai du m’asseoir pour lire la suite :
Une troisième élection en moins de six ans, c’est trop. Souhaitons que cette fois-ci, on en soit quitte pour les cinq prochaines années. Les Conservateurs devraient se faire élire majoritairement. À mon avis, c’est le seul parti qui peut prétendre au trône. Pas parce qu’il est meilleur que les autres. C’est que les autres n’ont rien de mieux à offrir. À part des sourires, des tapes dans le dos et des poignées de main.
Manifestement, ce journaliste pense que tous les partis se valent et que leurs différences sont minimes. C’est ce que l’on verra le 3 mai si les conservateurs sont majoritaires. Avec de tels propos, on comprend que la population soit lasse d’être appelée à s’exprimer! Trois élections en 6 ans, soit une aux deux ans, c’est beaucoup trop! Personnellement, je trouve que c’est plutôt une chance pour les citoyens de pouvoir manifester leur mécontentement s’ils ne sont pas satisfaits. Il y a encore peu en France, le président était élu pour 7 ans! Beaucoup de français auraient aimé être appelés aux urnes tous les 2 ans.
Débat des chefs : Et la gagnante est… Madame Paillé!
Dans ce contexte, je n’attendais rien du débat des chefs. Chaque fois il n’en ressort que des platitudes. Les candidats qui s’invectivent à longueur d’année sont soudain pris du plus grand des respects pour les concurrents et se serrent tous la main, grand sourire. C’est tellement consensuel que lors du dernier débat, les observateurs avaient tous déclaré Stéphane Bureau, l’animateur, grand vainqueur du débat!
On aurait pu espérer que les chefs retiennent la leçon. Mais il n’en a rien été, ou presque. On notera que M. Layton voit son parti progresser quelque peu. Mais il part de tellement bas que cela n’aura pas d’incidence sur le résultat final, sauf quelques exceptions. Et c’est donc madame Paillé, une chômeuse de la Mauricie, qui remporte ce débat haut la main. Le lendemain, tous les chroniqueurs n’en avaient que pour elle! Pourtant qu’a dit madame Paillé : qu’elle cherchait un emploi! Renversant, non?
Un intérêt médiatique relancé mais toujours rien sur les enjeux
Le débat des chefs aura eu cependant un mérite : il aura susciter à nouveau de l’intérêt de la part des médias pour la campagne. Elle semblait en état de mort clinique, elle est aujourd’hui ressuscitée. Il est vrai que l’affaire Cantat commençait à s’émousser. Depuis on retrouve une couverture plus conforme à ce qu’elle devrait être.
On constate cependant que l’environnement est totalement absent du discours, à la plus grande joie des conservateurs évidemment. On se met à parler de santé. Mais c’est de compétence provinciale. Il n’y a donc rien sur les enjeux de la campagne. Oublié l’outrage au Parlement, oublié l’accord sur la constitution d’une coalition entre les conservateurs et le Bloc québécois, quelques années plus tôt, alors que Stephen Harper ne cesse de laisser placer la menace d’une coalition du Bloc avec les libéraux!
Des partis dépassés?
En fait, on a l’impression que les partis d’opposition n’utilisent aucun des outils modernes mis à leur disposition pour comprendre ce qu’ils doivent améliorer. C’est à se demander s’ils font de l’analyse de presse et des groupes focus, deux méthodes qui leur permettraient de comprendre ce qui passe et ne passe pas dans les médias, ce qui plait et ce déplaît aux citoyens.
Bref, dans une campagne atone où les chefs ne semblent pas avoir d’objectif clair, aucune vision, aucun projet, je le redis : à moins d’un évènement exceptionnel (comme par exemple de nouvelles informations sur les dépenses du G8), la voie est toute tracée pour un gouvernement conservateur majoritaire au soir du 2 mai.