Depuis que j’ai créé ce blog, j’ai porté mon attention essentiellement sur la télévision publique (Radio-Canada et France 2). Il est temps de réparer cette injustice en m’attardant cette fois-ci sur le discours d’un quotidien privé: La Presse. Qu’en est il donc de l’indépendance journalistique et de l’objectivité de ce média détenu par des intérêts privés ?

Rappelons que ce journal est la propriété du groupe Gesca (qui possède de nombreuses autres publications au Québec comme Le Soleil, Le Droit, La Tribune, etc.), lui-même appartenant à Paul Desmarais, un libéral (et donc fédéraliste) convaincu. Les journalistes des grands groupes de presse affirment que le propriétaire n’a quasiment pas d’influence sur le discours de son journal (j’y reviendrai en détail dans une prochaine chronique). Voyons ce qu’il en est à l’occasion du dépôt du budget par le gouvernement conservateur de Stephen Harper.

La Presse consacre une très importante couverture au sujet. D’abord en terme d’espace: la moitié de la première page y a trait, tout comme les pages 2 et 3. De plus des chroniqueurs reconnus  tels Alain Dubuc et Claude Picher, ainsi que l’éditorialiste en chef André Pratte, ont écrit un papier sur ce dossier. Cependant, le lecteur aura noté les nombreux « espaces vides » des deux page. Le contenu journalistique est essentiellement constitué de « phrases choc »  et d’illustrations graphiques. Mais un véritable contenu analytique et critique du budget est quasiment absent : les pages 2 et 3 sont finalement quasiment vides, seuls un petit article tout en bas de la page 2 et la chronique de Claude Picher, en bas de la page 3, viennent occuper cet immense espace.

Ce tout petit article de la page 2 est dans le plus pur ton journalistique : les faits, rien que les faits, rapportés de manière « objective ». Les choses deviennent plus intéressantes avec Claude Picher, qui conteste fortement  le ministre des finances, M. Flaherty, exemples concrets à l’appui, car il estime que ses prévisions de retour à l’équilibre budgétaire ne résisteront pas à la réalité… Avant qu’il ne trouve toutes les raisons du monde qui font que justement les prévisions du ministre sont, selon lui, loin d’être déraisonnables… et que le ministre a sans doute raison! Résultat : un article d’apparence négative qui se termine sur une bonne note pour le gouvernement. André Pratte, éditorialiste célèbre, et qui donc reflète l’opinion du journal, continue dans la même veine en déclarant que : « le document [le budget] a de quoi plaire à ceux qui préfèrent la bonne gestion aux feux d’artifice ».

La Presse apparaît donc tenir un discours favorable au budget conservateur, malgré le bémol d’Alain Dubuc, qui estime dans sa chronique qu’il s’agit là d’un « exercice budgétaire très peu crédible ». Néanmoins, cette chronique, située au milieu du journal, loin de dossiers traitant du budget, est beaucoup moins visible que les articles de Claude Picher et André Pratte… La position de La Presse concernant le budget est donc difficile à cerner puisque des articles contradictoires sont présentés. Que doit-on penser de cette approche ? Est-ce une façon de contenter les lecteurs sans trop offenser les décideurs d’Ottawa en ces temps difficiles pour les médias ?

Bref, on se rend compte qu’il est extrêmement difficile de se faire une idée de l’orientation globale du journal. Seule finalement une analyse de presse poussée réalisée au moyen de la méthode Morin-Chartier (cf. le site de Prisme Média pour plus d’explications), permettrait d’évaluer précisément le contenu du quotidien montréalais et de répondre sans l’ombre d’un doute à cette questions centrale : La Presse a-t-elle tenu des propos globalement favorables, défavorables ou neutres en ce qui a trait au dépôt du budget conservateur? En l’absence d’un tel procédé d’analyse, La Presse paraît ménager la chèvre et le chou, ce qui n’est pas forcément à son avantage. Mais chut : si les médias sont en crise, c’est à cause des médias sociaux. Le contenu n’a bien sur rien à voir là-dedans.


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.