Le bioJe me rendais dernièrement aux Portes ouvertes sur les fermes du Québec. Dans celle que j’ai visitée étaient présents des employés du Centre local de développement. Je leur demande si l’on peut trouver des agriculteurs bio dans la région, en Montérégie. Immédiatement je sens un raidissement. Même question dans une fruiterie près de chez nous : Le vendeur se met à critiquer le bio à tout va! Au secours! Le bio semble pourtant avoir plutôt bonne presse. Alors, que se passe-t-il?

Le bio mal-aimé en milieu rural

En fait, dans le milieu agricole et rural, le bio est un empêcheur de tourner en rond. Un producteur bio réalisera beaucoup moins d’investissements qu’un agriculteur classique. Et il produira moins, ce qui n’est pas très bon pour les affaires et lui assure de ce fait une certaine inimitié. D’autant que les apotres de l’agriculture industrielle se gaussent en disant qu’ils ne reviendront pas au moyen-âge avec une charrue tirée par des boeufs.

Le bio est la modernité

Et pourtant! Le bio est bien la modernité car il s’agit ni plus ni moins que de l’avenir de l’homme. C’est une opinion que je me suis forgée peu à peu au détours de différentes lectures, notamment Le monde selon Monsanto, Toxic, Le livre noir de l’agriculture et quelques autres. Dans ces livres, on apprend que fruits et légumes sont littéralement recouverts de produits chimiques (engrais, pesticides, fongicides, etc.). Et que même lorsque l’on croit manger bien nous nous intoxiquons. Plusieurs études montrent que l’on retrouve dans le sang de la population des dizaines de résidus de pesticides. La plupart du temps ces produits n’atteignent pas la dose limite recommandée mais il y en a tellement que l’on ne peut qu’être inquiet quant à leurs conséquences à long terme sur la santé humaine. Surtout, leur « effet cocktail » n’a jamais fait l’objet d’études sérieuses.

Et je ne parle du reste, c’est à dire de la viande boostée aux hormones tandis que le bétail est nourri uniquement dans le but de le faire croître le plus rapidement possible, au mépris de la qualité nutritionnelle. C’est à tel point que le poulet est en train de perdre son statut de viande blanche! Ou encore du poisson, notamment ceux en fin de chaîne alimentaire comme le saumon, perclus de métaux lourds. Faîtes attention quand vous mangez des sushis!

Est-il encore bon pour la santé de manger « santé »?

Les auteurs indiquent ainsi qu’il ne devient plus forcément meilleur de manger « santé » tant fruits et légumes sont contaminés. Pendant ce temps, on ne cesse de nous répéter que le nombre de cancers augmente drastiquement et qu’il s’agit maintenant de la première cause de mortalité. Mais personne ne s’interroge sur les causes de cette épidémie. On nous apprend toujours qu’il vaut mieux « prévenir que guérir ». Or ici il est clair que personne ne songe à prévenir, ce qui explique que le bio soit décrié (« une affaire de granos ») tandis que ce sont des milliards chaque année qui sont dépensés pour faire avancer la recherche.

Bio : Des médias aux abonnés absents

Mais les médias ne pipent pas mot à ce sujet. Lorsqu’ils traitent du bio, c’est uniquement pour parler du rêve de citadins partis à la campagne pour monter leur ferme ou des perspectives de cette filière. Nulle part n’est fait mention des effets à long terme sur la santé de la consommation d’aliments contaminés par toute une série de produits chimiques, allant des pesticides aux conservateurs. Quand on pense à tous ces produits ajoutés aux aliments, on se dit que c’est un miracle que toute la population ne soit pas malade. Et l’on comprend mieux pourquoi de plus en plus de gens sont allergiques et développent des maladies graves… en mangeant!

Mais ce problème de santé publique n’affecte pas les médias. Il est vrai qu’il est difficile de critiquer les excès du secteur agroalimentaire quand on songe à la publicité qu’il génère. Perdre cette manne reviendrait quasiment à mettre la clé sous la porte. Et revient bien sur la sempertinelle question de l’indépendance journalistique. A ce sujet, je vous conseille de lire les Canard Enchainé du 14 et 21 septembre 2011. On y a apprend que la régie publicitaire du célèbre magazine Géo a empêché la parution d’un dossier qui aurait pu embarrasser certains annonceurs.

Une histoire qui, étonnamment, n’a intéressé aucun autre média (hormis Médiapart). Cela n’empêchera donc pas les journalistes de nous assurer sans rire qu’ils sont totalement indépendants. Et je reviens avec ma vieille rengaine : il est essentiel que les médias ne soient plus entre les mains de grands groupes de presse et dépendants de la publicité. Ils devraient tous être détenus par des associations, voire des coopératives, dont le but n’est pas de gagner de l’argent mais bien l’intérêt général. Il faut que la presse vive uniquement des revenus provenant des ventes. Plusieurs journaux y arrivent, c’est donc possible. La qualité des contenus s’améliorerait, la confiance dans la presse remonterait et la chute des ventes s’enrayerait très certainement.

Tant que cela ne sera pas le cas, des sujets comme celui du bio n’auront aucune chance d’arriver aux oreilles du grand public. Et les cas de cancer n’ont pas fini d’augmenter.

 


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.