A priori oui. Et pourtant c’est bien la question que l’on doit se poser suite à l’affaire des « appels automatisés » : « Le jour du vote, des électeurs de la circonscription de Guelph ont reçu des appels automatisés les avisant que le bureau de scrutin avait été déménagé. Le tout avait l’air bien officiel : l’identification à Élections Canada, la voix claire, le message bilingue. L’électeur n’avait aucune raison de se douter de quelque malversation que ce soit » (Le Droit, 25 février 2012). Ce n’est ni la première « bizarrerie » qui entoure des élections dans des pays à pourtant forte tradition démocratique, ni la dernière, quand on voit que l’affaire s’est retrouvée classée en moins de 24 heures, Élections Canada ayant abandonné l’enquête dès que le scandale a été révélé!
Bien sur, dans ce cas-ci un employé du parti conservateur porte le chapeau et est contraint à la démission. En faisant cela, il sauve sans doute son parti car on commençait à parler de procéder à un nouveau vote! Mais pas le système, qui peu à peu souffre de tous ces scandales. Personnellement, je crois de moins en moins aux résultats des élections.
De George Bush… aux plantes vertes : petit florilège de certains scandales
Traditionnellement, on croit peu aux résultats lorsque les élections ont lieu en Afrique ou dans des pays à faible tradition démocratique, comme la Russie. Mais personne ne remet en cause le déroulement des élections dans les pays occidentaux. Pourtant, il y a beaucoup à dire. Les quelques affaires que je remémore ici devraient amener à une pris de conscience majeure. Évidemment, il n’en sera rien.
Georges Bush l’emporte en perdant
L’élection de Georges W Bush en 2000 est sans doute l’élection la plus contestée de l’histoire récente. J’avais beaucoup aimé à l’époque cette remarque d’un observateur qui avait déclaré que personne n’aurait cru au résultat si ce même scrutin s’était déroulé en Afrique, sachant que le vainqueur était le fils de l’ancien chef des services secrets du pays et ancien président, tandis que son frère était gouverneur de l’état (la Floride) dans lequel avait eu lieu la contestation! Cette élection a en fait été très probablement volée par différents stratagèmes (rappelons que Gore a obtenu au final un million de voix de plus que Bush).
Plusieurs représentants de Floride ont déclaré qu’on leur a rapporté de nombreuses irrégularités le jour du scrutin. Des citoyens se sont vus par exemple interdire l’accès à des bureaux de vote. On a aussi longuement disserté sur les cartes de vote, le 1er candidat inscrit étant Georges Bush et le deuxième un quasi-inconnu, Al Gore était mélangé à tous les autres. Ainsi, dans plusieurs bureaux de vote, ce deuxième candidat est arrivé en 2ème position. Tout cela est décrit dans le film de Michael Moore, Fahrenheit 911 (évidemment, c’est une mauvaise source pour beaucoup mais les faits n’en demeurent pas moins réels). En dépit de tous ces scandales, Georges Bush est déclaré président. Lorsque l’on a conscience aujourd’hui des implications, cela laisse rêveur.
L’élection suivante en 2004 a également suscité de la polémique. En effet, 2004 voit l’avènement du vote électronique. Malheureusement, de nombreuses « erreurs », notamment dans l’Ohio, état clé, ont terni le scrutin. Certaines machines par exemple s’amusaient à retrancher des votes à certains candidats quand ceux-ci atteignaient un certain score. Et des bugs de ce genre, il y en a eu à la chaîne comme l’explique le site blackboxvoting.org.
En France
En France, difficile de trouver quelqu’un qui remette en cause le résultat des élections. Et pourtant! Celles-ci n’ont quasiment plus aucune crédibilité depuis qu’il a été démontré que les deux principaux partis truquent… leurs propres élections internes. Ainsi, lors de l’investiture de Nicolas Sarkozy à la candidature de la présidentielle 2007, il a été établi que le scrutin avait été « gonflé » afin que le candidat parte sur des bases solides.
Au parti socialiste, qui ne se souvient pas de cette folle élection du premier secrétaire entre Martine Aubry et Ségolène Royal? Des fraudes gigantesques ont été révélées à cette occasion. On peut aussi parler des « faux électeurs ». En France, plusieurs scandales ont éclaté après que l’on se soit rendu compte que des morts ou des personnes non domiciliées dans la ville où ils votaient avaient pu participer au scrutin. Le cas le plus connu a eu lieu lors de l’élection de Chirac à la mairie de Paris. Comment ne pas penser que ces pratiques ne sont pas généralisées lorsque l’on voit que cette affaire a été littéralement enterrée?
Lorsque les deux principaux partis sont pris ainsi la main dans le sac, comment continuer à croire que tout est fait dans les règles de l’art? Comment garder confiance dans le système? J’ajouterai que d’autres moyens de manipuler sont énormes. Par exemple, il est connu que certains députés n’hésitent pas à affréter des autobus pour faire amener les personnes âgées aux bureaux de vote car ils savent que les aînés leur sont favorables.
Au Québec
Le Québec n’échappe pas à ce problème, au contraire. En effet les règles lors des élections sont très « élastiques ». Vous pouvez voter même si vous n’avez aucun papier et que vous n’êtes pas inscrit dans le bureau de vote dans lequel vous vous présentez! Il suffit de « jurer sur l’honneur » que vous êtes bien habilité à voter et que vous n’irez pas dans un autre bureau à côté pour pouvoir prendre part au scrutin une deuxième fois. Autant dire que quelqu’un de peu scrupuleux pourrait tenter de faire basculer le vote dans les bureaux où l’élection est très serrée en y envoyant quelques dizaines d’électeurs qui feraient le tour des différents bureaux de la circonscription. En fait, il est très difficile de croire que cette pratique n’a pas cours, même si pour le moment je n’ai encore entendu aucun scandale de ce genre.
L’humoriste Infoman réussit régulièrement à voter dans 5 bureaux de vote différents! Lors de l’élection de chefs de partis, il réussit même à faire voter des plantes vertes! Le plus extraordinaire est la fois où il a réussi à faire voter Omar Bongo, le défunt président du Gabon, démocrate bien connu, ce qui a entraîné l’élection de Gilles Taillon, vainqueur d’une voix… celle d’Omar!
Élections : du moyen-âge au tout technologique
Mais s’il n’y avait que cela… Cela fait peu de temps que je vote au Canada. Je suis arrivé dans le pays en 2000 mais je suis canadien depuis seulement quelques années et je n’ai donc participé qu’à quelques scrutins. Et je suis stupéfait par l’amateurisme qui règne à l’occasion le jour des élections. Pour voir cela de plus près, j’ai participé aux dernières élections fédérales comme scrutateur. Cela valait la peine!
Nous avons tout d’abord suivi une formation express de 2 heures environ un mois avant le jour du scrutin. C’est clairement allé beaucoup trop vite. Ensuite, j’ai été surpris du matériel employé. Les urnes sont en carton et très facilement démontables. L’isoloir est un bout de carton. Il faut cocher sur le billet de vote le candidat que l’on choisit, c’est à dire son député, ce qui n’est pas évident car lors de ces élections on vote avant tout pour un chef et pour son parti (beaucoup de gens ne connaissent pas le nom des candidats locaux). Mais le plus surprenant a été la fin : aucune vérification n’a été effectuée par une tierce personne. Ce qui signifie qu’à mon bureau, seul moi et mon greffier avons procédé au dépouillement et fait le décompte des voix. Personne n’a rien vérifié. On aurait pu faire ce qu’on voulait. Puis à la fin, le superviseur du centre de scrutin a pris les urnes. Il aurait pu lui-aussi faire quasiment ce qu’il voulait avec.
Tout cela est très surprenant dans un pays comme le Canada. En France, ou bizarrement il y a beaucoup plus de scandales, je me souviens encore du déroulement des élections. Cela n’avait rien à voir! Les membres de chaque parti sont sur le qui-vive. Ils scrutent tout. Lors du dépouillement, des dizaines de personnes sont présentes à chaque table! De même, les bulletins de vote sont beaucoup plus clairs : chaque candidat a un bulletin qui lui est propre. Et les urnes sont en plastique transparent. Autant dire que pour frauder, il faut se lever tôt.
Mais les choses changent et l’on tente désormais de passer au vote électronique. Dans un premier temps, il s’agissait de se rendre toujours au bureau de vote mais d’utiliser une machine plutôt qu’une urne. Drôle d’idée à vrai dire car les coûts d’achat de ces machines sont élevés. A une époque où l’on ne parle que de faire des coupures budgétaires cela semble pour le moins incongru… d’autant que les avantages sont très limités. Pas les profits pour les compagnies qui les vendent cependant. Et comme on l’a vu, malheureusement ces machines ne sont pas fiables. D’autant que leurs fabricants refusent de dévoiler leur code source. Ce qui n’est pas sérieux tant faire un logiciel de décompte de voix est d’une simplicité désarmante. Au Québec, après le fiasco d’une élection municipale, ce type de vote a heureusement été supprimé.
Mais cela ne l’empêche pas de revenir par la porte d’en arrière! Ainsi, j’ai été frappé de constater, alors que je travaillais encore à l’université, que l’élection du recteur se faisait électroniquement. Le but officiel est d’augmenter la participation. Et l’on nous a bien précisé que le scrutin était supervisé par un huissier. Mais celui-ci a-t-il des compétences en informatique pour s’assurer que le logiciel employé est bien sécuritaire?
Après cette première étape qui a permis de redonne ses lettres de noblesse au vote électronique, on arrive maintenant à quelque-chose de plus grave : le consulat de France à Montréal vient de m’écrire concernant les élections françaises à venir et propose de voter… par Internet! Cela signifie que je peux choisir mon député depuis mon salon. Autant dire qu’il n’y a plus aucun moyen de contrôle. Et là, comme dirait quelqu’un, « tout devient possible »!
Élections : le rôle des médias
Mais comme on l’a vu, le vote électronique n’est que le moyen ultime de fausser une élection. Bien des techniques sont utilisées par les partis politiques pour arriver à leurs fins, comme on vient de rapidement le voir. A cela s’ajoute une nouvelle fois le silence des médias, qui parlent très peu de ces problèmes. Sans doute est-il important que les citoyens continuent de croire au système. En outre, les médias ne sont pas neutres, contrairement à ce qu’ils disent. La dernière élection fédérale l’a démontré quasiment de manière caricaturale. Rappellons pèle-mèle que:
- Le National Post a appelé à voter pour les conservateurs (au motif que c’était le meilleur choix pour l’économie, on voit le résultat aujourd’hui alors que même les célèbres agences de notation déclarent publiquement qu’elles craignent que le traitement de cheval que s’apprètent à imposer les conservateurs au Canada aurait plus d’effets négatifs que positifs!)
- La Presse a démonté le parti Conservateur comme le montre cette chronique (et ajoutons que dernièrement elle a réussi à enterrer Gilles Duceppe dans la course à la chefferie du Parti Québécois en publiant juste au moment où il aurait pu prendre les rênes du parti un article selon lequel il « a puisé dans le budget de fonctionnement de son cabinet à Ottawa pour payer le salaire d’au moins un autre directeur général du parti »). Si « l’infraction » est minime et contrevient seulement à la « tradition », cela a permis à cet influent journal fédéraliste de priver le Parti Québécois d’un leader charismatique.
- Le Journal de Montréal, deux jours avant le scrutin, a publié des articles révélant que Jack Layton, le chef du NPD, « a été surpris nu sur un lit par la police de Toronto alors qu’il se trouvait dans un salon de massage », le niveau zéro du journalisme.
- Etc.
Sachant qu’il s’agit des principaux journaux au Québec et quand on est conscient de l’impact qu’ils ont sur l’opinion publique, on comprend combien il leur est facile de manipuler les scrutins, ceux-ci n’hésitant pas à recourir à du salissage ou à cacher des informations dans un but très précis : faire tourner le vote dans le sens qui les arrange.
Vu de là, les petites pratiques qui consistent à faire voter des plantes vertes paraissent bien ridicules et l’on se rend compte que l’on peut légitimement se demander si l’on est encore en démocratie. Et je n’ai pas abordé la question du financement des partis politiques ainsi que les liens quasi-incestueux entre organismes publiques et compagnies privées.