Je sais, nous vous avions promis en début d’année de réaliser un dossier sur les médias. Mais il se trouve que nous avons été particulièrement occupés cet hiver et que nous n’avons pas eu le temps nécessaire pour le finaliser. Mais soyez rassurés, il est en constitution et il arrivera un jour! 🙂

Lock-out au Journal de Montréal

Puisque je parle des médias, j’aimerai revenir sur un fait majeur de la presse québécoise qui s’est déroulé la semaine dernière : l’entente conclue dans le lock-out du Journal de Montréal. Je ne parlerai pas de ce que tout le monde commente, à savoir si l’entente est favorable ou défavorable aux journalistes. Patrick Lagacé s’en est déjà chargé en fusillant la « camarade Carbonneau ». Car ce qui ressort de cet article, c’est bien de voir à quel point les journalistes placent leur situation en avant de celle du simple quidam. Quand la « camarade » ne s’implique pas totalement alors qu’il s’agit de défendre les journalistes, elle reçoit une bordée de scuds. Le reste du temps, il faut bien reconnaître que les médias sont beaucoup plus tranquilles. Mais il est vrai que la camarade a eu le malheur de faire une « tournée médiatique » d’autosatisfaction, et là cela ne pardonne pas.

Le lock-out du Journal de Montréal vu par les journalistes

Patrick Lagacé en reste là. Mais d’autres vont plus loin. Généralement, les médias sont peu enclins à critiquer leurs concurrents. Les journalistes forment une corporation et se soutiennent (du moins publiquement), même s’ils n’ont pas le même employeur. Il faut dire que l’on ne sait jamais ce qui peut arriver. On peut tout à fait se retrouver à travailler pour un « confrère » quelques mois ou années plus tard. Il est donc plus prudent de ne pas esquinter la concurrence. Ceci explique la retenue, malgré tout, des journalistes qui ne travaillent pas au Journal de Montréal. Il faut dire aussi que ceux qui osent s’exprimer se retrouvent illico avec un procès, et évidemment, cela n’encourage pas les vocations. Pourtant, on cherchant bien, on peut trouver des commentaires critiques.

Tout le monde constate jour à après jour, et ce depuis des années, combien la « qualité » du Journal de Montréal se dégrade. Pourtant, dès que l’on critique ce média, les journalistes montent sur leurs grands chevaux (je l’ai vécu à plusieurs reprises). Je me rappelle même de Bernard Landry, qui interrogé au début du lock-out, avait superbement défendu le Journal de Montréal à « Tout le monde en parle ». Il est vrai que l’ancien premier-ministre y tenait une chronique et qu’il aurait été surprenant de le voir mordre la main qui le nourrit. Mais cela témoigne bien d’une certaine ambiance générale, qui interdit toute critique publique des médias.

Les premiers propos critiques que j’ai trouvés à l’égard du Journal ont été publiés sur… Rue Frontenac! Quelle surprise me direz-vous! En fait en lisant ça, j’avais failli tomber en bas de ma chaise : un journaliste en lock-out traitait du conflit de travail. Mais c’est dans les commentaires que s’est glissée la petite bombe : plusieurs lecteurs avaient des mots très durs concernant la publication de Quebecor. Certains s’étonnaient de ne pas avoir appris tout ce qu’ils avaient lu dans l’article auparavant, dans les colonnes du Journal. Et le journaliste de conclure : « il ne faut pas croire tout ce qu’on lit dans le journal ». Impressionnant, n’est-ce pas?

Rappelons que les journalistes défendent bec et ongle le fait qu’ils sont indépendants, que la concentration de la presse ne représente aucun danger, et j’en passe.

Puis la contestation a gagné les rangs de La Presse. C’est une prise de risque de la part ceux qui prennent une telle position. Heureusement, tout est dans le traitement de l’information. Dans son article intitulé « Congrès de la FPJQ : le «prix de la noirceur» remisà Harper » (La Presse, 29 novembre 2010), Louise Leduc, à la fin de son texte, rapporte les propos de quelques journalistes « lock-outés » et parle du Journal de Montréal en ces termes : « un quotidien appartenant à un groupe qui met entre autres en ondes les émissions Le banquier et Occupation double ». C’est bien la première fois que je lis des propos aussi décapants dans la presse québécoise. La Presse d’ailleurs n’a-t-elle pas un temps rapporté dans ses colonnes les résultats de telles émissions? Ses journalistes et chroniqueurs ne se montrent-ils pas parfois élogieux à l’égard d’émissions comme Star Academy, pour n’en citer qu’une?

Mais ce n’était pas fini! Voici la suite, à lire lentement et avec délectation:

M. Patry (un journaliste du Journal de Montréal) a raconté comment il lui est arrivé que ses textes lui soient dictés par ses supérieurs. Après avoir refusé de répondre à des «commandes» et «autres jobs de bras» contre des ennemis de Quebecor, M.Patry a raconté que ses collègues lui ont donné un conseil: faire semblant. Devant une assignation qu’il jugeaitdéplacée, on lui a conseillé de faire semblant de faire appels téléphoniques et recherche, pour finalement dire à ses supérieurs qu’il n’avait malheureusement pas réussi à joindre d’interlocuteurs.

J’imagine bien sur que ce genre d’ambiance n’existe pas à La Presse!

Rue Frontenac, le lock-out au Journal de Montréal et le discours de presse

J’ai peu lu Rue Frontenac et je le regrette. J’ai longtemps pensé qu’il s’agissait d’un Journal de Montréal bis, avec des textes courts traitant surtout de faits-divers. Mais je me suis trompé. En fait, à le lire, on pouvait enfin en apprendre un peu plus sur le monde des médias, autrement en tout cas que par les discours officiels des grands groupes de presse, qui bien sur tentent de rassurer le public en leur garantissant une éthique irréprochable. Cette tendance à la critique des médias dans Rue Frontenac a peut-être atteint son paroxysme avec la publication de la chronique de Martin Leclerc titrée « Notre vote, sa pateaugeoire… » (Rue Frontenac, 27 février 2011). Celle-ci est exceptionnelle par son contenu.

Pour la première fois sans doute, on apprend de la part d’un « média traditionnel » et d’une personne « placée à l’intérieur », qu’au cours des 10 dernières années

les méthodes de gestion, le climat de travail et la qualité du quotidien n’ont jamais cessé de se détériorer. Constatant que leur quotidien était en train de devenir un journal de rednecks (c’était l’expression que nous utilisions à l’intérieur des murs) et que la nouvelle politique d’information consistait à défendre les intérêts de Quebecor (ou à s’en prendre aux concurrents de Quebecor), les membres de la salle de rédaction n’ont jamais cessé de se rebeller.

Et M. Leclerc de conclure : « Aux yeux des gens qui comprennent l’importance d’une information juste, rigoureuse et dénuée de conflits d’intérêts, les journaux de Quebecor ne valent plus grand-chose. »

Il est tout de même dommage de constater qu’au cours des 10 dernières années les journalistes ne nous aient jamais parlé de tout cela. Tout comme il est dommage de s’apercevoir comment pouvaient être traités les personnes qui osaient émettre la moindre critique… Et il y a pourtant encore beaucoup à dire. Nous en reparlerons lorsque nous serons prêts à publier notre dossier. Pour le moment, je tiens à apporter mon soutien aux journalistes de Rue Frontenac et à souligner le courage de M. Leclerc. J’espère que Rue Frontenac continuera longtemps, c’est une « source journalistique » pour le moment indépendante. En ces temps de concentration de la presse, c’est une bouffée d’oxygène salutaire.

Enfin, pour terminer et pour faire un parallèle avec mon billet de la semaine dernière, j’aimerai revenir sur les premiers mots de M. Leclerc dans sa chronique :

Étant donné les circonstances, il serait un peu ridicule de faire comme si rien n’était et de vous débiter ce matin une chronique à propos du Canadien, de la LNH ou de n’importe quel autre sujet relié au monde du sport. Parlons donc des vraies affaires.

J’ai donc bien hâte de lire la prochaine chronique de M. Leclerc (j’écris jeudi matin, le 10 mars 2011) pour voir s’il nous parlera des vraies affaires, à savoir la mise en échec rugueuse de Chara sur Pacioretty, qui occupe à l’heure actuelle toutes les tribunes!


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.