Ca y est! Le Canada est à nouveau en période électorale! Encore! direz-vous. Car c’est bien ce que ne cessent de répéter médias et politiciens. Pourtant, cela fait 3 ans que les dernières élections ont eu lieu. Rappellons que chez nos voisins américains, c’est tous les deux ans que les électeurs sont appelés aux urnes. Sachant que le gouvernement était minoritaire, c’est donc une bonne performance. Si l’opposition au Canada adoptait la même ligne que celle adoptée par les conservateurs américains, c’est tous les deux ans que nous serions en campagne électorale. Rappelons qu’au pays de l’Oncle Sam les conservateurs ont pour stratégie de s’opposer à tout. Dans un système parlementaire, cela siginifierait que le gouvernement serait sans cesse renversé.

Élections, à qui la faute?

Cependant, il apparaît clairement que pour tout le monde, trois ans c’est trop peu. Surtout vu le coût des élections, estimé à 300 millions! Le grand débat actuel est donc de savoir qui est responsable du déclenchement des élections. A première vue, le coupable tout désigné est le NPD : en dépit des quelques cadeaux qu’ont réalisés les conservateurs lors du dépôt du budget à l’endroit du parti de Jack Layton, comme par exemple le remboursement des activités sociales des enfants (un cour de piano par exemple), la décision de néo-démocrates de ne pas voter le budget peut être interprétée comme l’élément déclencheur de ces élections.

A partir de ce moment, M. Harper a beau jeu de dire qu’il n’a pas voulu de ces élections et que c’est donc la faute des partis d’opposition, NPD en tête. Cependant, il est essentiel de noter que ces élections arrivent précisément au moment où les conservateurs sont très largement en tête des sondages. A tel point qu’ils pourraient avoir la majorité à la Chambre des Communes. Alors les conservateurs sont-ils si innocents qu’ils veulent bien le dire?

La vraie raison du déclenchement des élections

En fait, chercher le « coupable » du déclenchement des élections est une fausse piste. Tout simplement car le gouvernement ne sera pas renversé sur la question budgétaire mais bien pour « outrage au Parlement ». Le vote du budget n’a donc rien à voir avec le déclenchement des élections. Problème pour l’opposition : il est clair dans l’esprit des gens que ces nouvelles élections sont dues au refus du budget. Donc que l’opposition est responsable. Le scénario rêvé pour les conservateurs!

Des termes très vagues

Autre problème pour l’opposition : les citoyens croyant que les élections sont dues à son opposition au budget, ils sont loin de savoir ce qui l’a conduit à voter la motion de censure pour « outrage au Parlement ». C’est pourtant de première importance pour bien comprendre l’enjeu de cette élection. On entend bien sur quelques éléments à ce sujet mais ils sont très courts et vagues. On le constate par exemple en lisant cette nouvelle de Radio-Canada : bien que celle-ci explique très clairement que

Les députés libéraux, bloquistes et néo-démocrates ont donc renversé le gouvernement en raison de son refus de fournir les coûts de plusieurs projets de loi, notamment en matière de justice, et non sur un vote lié au budget

on s’aperçoit que les termes sont vagues. Les chefs des partis d’opposition sont cités mais ils ne réussissent pas à donner d’exemples clairs. Il est question des F-35, des baisses d’impôts aux entreprises. M. Duceppe, le chef du Bloc québécois, a même été plus loin, en déclarant que « ce qui entache ce gouvernement, c’est le patronage, le trafic d’influence, la fraude électorale, l’enquête de la GRC ». Mais après avoir lu ou entendu cela, on peut se demander ce qu’il a voulu dire : de quelle « enquête de la GRC » parle-t-il? Comment peut-il parler de « trafic d’influence », de « fraude électorale »? Sur quels faits se base-t-il pour faire de telles déclarations? Peut-être sont-ils réels. Mais le fait est que la population n’est pas au courant. Et ce genre de propos risque donc de se retourner contre lui.

Une campagne qui se joue… maintenant!

Et Stephen Harper n’en demande pas tant. Il n’a plus alors qu’à dénoncer la possible création d’une « coalition » regroupant les actuels partis d’opposition, et le voici bien parti. Cependant, cet argument est actuellement en train de se retourner contre lui, puisque M. Duceppe affirme que les conservateurs étaient prêts à s’allier au Bloc lors d’élections précédentes… Voilà un élément qui doit bien contrarier M. Harper, lui qui doit avoir un plan minutieusement préparé pour remporter chaque « journée-média ». En fait, la campagne électorale est probablement en train de se jouer durant ces quelques heures. Celui qui réussira à prouver que M. Harper était prêt à s’allier ou non avec le Bloc risque de débuter la campagne avec un très net avantage. Tout se joue donc maintenant, au début de la semaine du 28 mars. Après, on aura le droit au train train de la campagne, avec des annonces quotidiennes faites aux quatre coins du pays. Et les tendances devraient rester stables.

 


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.