La vidéo dénonçant les atrocités commises par le chef de guerre africain Kony fait un tabac sur les médias sociaux. En 6 jours, elle a été visionnée par plus de 100 millions de personnes, ce qui en fait la vidéo la plus rapide de l’histoire a avoir atteint ce niveau. A partir de là, la tentation est grande de se laisser aller sans retenue à croire le discours des « experts web 2.0 » selon lesquels la publicité, et donc les médias traditionnels, sont finis.

Et pourtant! Quand on regarde de plus près ce « phénomène », qui prend d’ailleurs une étrange tournure, mais là n’est pas le débat, on constate que cette vidéo n’a pas été lancée « simplement » sur Youtube. Il y avait certainement un énorme plan de communication avec de solides appuis derrière. Ce n’est pas un hasard si seulement quelques heures après son lancement des vedettes comme Rihanna,  Georges Clooney, Angelina Jolie et Bill Gates ont endossé le message de la campagne. Même Obama l’a soutenue publiquement.

 

Kony 2012 : Une vidéo lancée au hasard?

Tout cela a créé un immense « buzz », ce qui a assuré son succès. La « viralité » des médias sociaux a ensuite fait le reste. Mais grâce à leurs relations et à leurs contacts hauts placés, le lancement, la partie la plus complexe de l’évènement, a été réalisé avec un succès à peine imaginable. Les campagnes web 2.0 « classiques » ne bénéficiant pas généralement de tels soutiens, ni de tels moyens (l’organisme qui gère la campagne ne dépense que 30% de ses donc directement sur le terrain!), il est clair qu’il s’agit d’une exception.

Ce qui n’empêchera pas bien sur les différents « stratèges » et « experts » de venir nous expliquer tout le potentiel des médias sociaux (qui est énorme, je ne le conteste pas), en citant cette campagne jusqu’à plus soif. Tel le mythe américain, le mythe des médias sociaux perdurera.

 

Les médias sociaux et les « vraies affaires »

Pendant ce temps, comme je l’expliquais la semaine dernière, les élections sont probablement truquées à des niveaux inimaginables mais le film qui le dénonce, Hacking Democracy, pourtant sur Youtube, n’a été vu que par 7500 personnes…

Quant au fond de la vidéo en elle-même, le sanguinaire Kony, je ne m’y arrêterai pas. Il est inutile de commenter ces vidéos à l’eau de rose dénonçant soudainement et on ne sait pourquoi un dictateur quelconque, alors qu’il y en a tant, et que non content de les laisser agir en tout impunité, nos gouvernements les soutiennent la plupart du temps. La lecture du livre Afrique : Pillage à huis clos m’a particulièrement ouvert les yeux à ce sujet. D’ailleurs, malgré son succès, nos gouvernements songent-ils à envoyer des troupes pour arrêter ce fameux Kony? Absolument pas!

Non, si vous voulez aider les autres pays, surtout ne faîtes rien! Croyez-moi, c’est la meilleure chose à faire. Chaque fois que nous nous impliquons, c’est un désastre (Irak, Afghanistan, Somalie, Yougoslavie, Rwanda, etc.). Chaque fois que nous intervenons, c’est par intérêt. S’il y a bien une chose à faire, c’est de stopper toute relation avec eux, notamment le commerce. Quand on voit la Chine, la plus grande dictature du monde et un prédateur de matières premières qui dans quelques années n’aura rien à envier aux occidentaux, s’armer comme elle le fait, on se demande comment on peut continuer à avoir des relations « normales » avec et comment toute notre élite peut se précipiter là-bas.

C’est à désespérer.

 


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.