J’ai abordé dans mon dernier billet le problème méthodologique que constituait l’émergence des blogues et des médias sociaux pour les communicateurs, et plus précisément pour les analystes de presse. En effet, la question de la constitution des corpus est rendue nébuleuse et il paraît en quelque sorte urgent d’attendre pour se fixer sur la question.
J’aimerai aujourd’hui continuer à traiter de méthodologie. Pour ceux que le mot « métho » fait fuir et qui trouvent ça « platte » ou « chiant » (comme le disait mon ancien patron, cherchez l’erreur…), le mieux est peut-être de vous arrêter là. Encore que… Car je vais aborder le sujet (passionnant, et oui!) de l’ « objectivité » journalistique et débattre de la pertinence de l’ « indice de partialité », celui-ci étant censé permettre aux analystes de presse de mesurer les prises de position des journalistes.
Jusqu’à il y a peu, ces derniers déclaraient unanimement qu’ils étaient parfaitement objectifs. Point. Cependant, ceux qui n’ont aujourd’hui plus rien à prouver (et à craindre) le reconnaissent : l’objectivité journalistique est un mythe. Patrick Poivre d’Arvor, le célèbre ex-présentateur vedette de TF1, la chaîne la plus regardée en France, l’a reconnu, tout comme M. Mongrain, au Québec. En fait, quand je lis les journaux ou regarde les informations à la télévision, j’en viens à me dire qu’il serait beaucoup plus honnête que les journalistes affichent ouvertement leurs positions. On saurait à quoi s’en tenir plutôt que de les voir biaiser leurs propos et nous faire croire qu’ils n’ont pas d’opinion ou qu’ils sont capables d’en faire totalement abstraction. Cela éviterait aussi ce qui est arrivé à Alain Duhamel, le célèbre journaliste politique, qui a vu sa carrière brisée lorsque l’on a appris qu’il soutenait un candidat particuliers à l’élection présidentielle française de 2007.
Si je vous parle ici de la partialité c’est car il s’agit d’un élément central lorsque vient le temps d’évaluer un discours (et non pour critiquer les journalistes). Vous devez définir précisément le concept avant de commencer vos études sinon vous risquez de commettre de graves erreurs. Par exemple, un journaliste est-il partial ou objectif lorsqu’il rapporte une hausse ou une baisse des profits des entreprises? Peut-on affirmer qu’il prend position? D’un certain point de vue, ses propos sont neutres, car il ne fait que rapporter un fait. Mais d’un autre côté, rapporter une bonne ou une mauvaise nouvelle n’est pas innocent. Et de toute façon, que va en retenir le public? Il se fera probablement une opinion positive s’il entend parler de progression des profits et au contraire, il aura une vision négative si on lui annonce des pertes (encore que, me direz-vous, aujourd’hui des profits trop élevés peuvent entraîner l’écœurement de la population… et l’on se rend compte qu’évaluer un contenu est extrêmement complexe).
Selon la méthode d’analyse employée, le ton peut donc beaucoup changer. Dans le premier cas, la couverture sera fatalement très neutre. Elle permettra de mesurer la partialité des médias, mais pas leur ton. Le deuxième permet l’inverse : on connaîtra le ton des journalistes, et il sera donc possible de mesurer la teneur des propos émis dans la presse. Cependant, il ne sera pas possible de calculer la partialité. Encore que… En effet, ces deux visions de la partialité ne sont pas forcément contradictoires et les deux types de codage peuvent être effectués dans la même étude mais il faut alors faire très attention de ne pas se mêler.
Seulement, ces deux façons de coder ne peuvent être réduites au simple terme de « partialité ». La méthode Morin-Chartier, celle que nous utilisons pour réaliser nos études, ne réalise malheureusement pas cette distinction et tout passe sous l’expression « taux de partialité », qui est la somme des unités d’information positives et négatives sur le total des unités retracées (une unité d’information est une idée ou un sujet que l’on retrouve dans un document. Il y en a en moyenne 6 par article ou nouvelle. Cf. la section recherche du site de Prisme Média pour en savoir plus à ce sujet).
Ainsi, l’ensemble des études réalisées grâce à la méthode Morin-Chartier depuis plus de 30 ans indique que le « taux de partialité » de la presse est de 40%! Ce qui fait littéralement bondir les journalistes de leurs sièges lorsqu’ils entendent cela! Imaginez : alors que ceux-ci défendent mordicus (à quelques exceptions près on l’a vu) que les journalistes sont objectifs, voilà qu’ils se font dire qu’ils prennent position 4 fois sur 10, soit pratiquement la moitié du temps! Ce qui n’est pas pour arranger la fameuse relation entre les journalistes et les relationnistes (cf. mes billets précédents à ce sujet)!
En fait, le problème vient de la confusion entre les deux types de « partialité », comme je l’ai expliqué plus haut. Dans sa forme actuelle, le « taux de partialité » de la méthode Morin-Chartier ne mesure pas la partialité des journalistes (le biais journalistique, comme le dit madame Chartier) mais le rapport entre le nombre de fois où ils tiennent des propos positifs ou négatifs comparativement à la proportion du contenu qui est neutre. Cela veut dire qu’un « taux de partialité » de 40% ne signifie pas que les journalistes prennent position mais que pour rapporter des faits ils utilisent des propos tantôt négatifs, tantôt positifs. Et ceci est inévitable. Pensons par exemple à une grève. Les médias citeront les porte-parole de l’entreprise, sans doute positifs, puis les grévistes et les syndicats, sans doute négatifs. Peut-on alors dire que le reporter est partial? Non, au contraire! Pourtant, le « taux de partialité » sera élevé.
On comprend arrivé ici (pour les courageux qui se seront rendus jusque là!) que l’expression « taux de partialité » n’est pas adaptée car elle ne rend pas compte de la réalité qu’elle est censée décrire. En fait, cet indice mesure davantage « l’engagement » des médias, c’est à dire le nombre de fois sur le total où ils rapportent des prises de position (d’intervenants, voire les leurs) ou citent des faits qui contiennent en eux-même une orientation que les journalistes ne peuvent réduire (comme la hausse de profits ou l’annonce de pertes).
Au final, on se rend compte que la partialité a deux définitions qu’il ne faut pas mêler. Ce qui est malheureusement le cas dans la méthode Morin-Chartier. Il apparaît donc essentiel d’adjoindre au « taux de partialité » un autre indice, afin de pouvoir décrire l’autre réalité qui se cache derrière la partialité. Pour ce faire, nous avons choisit l’expression « taux d’engagement ». Celle-ci explicite clairement ce qu’elle rapporte, c’est à dire la moyenne de fois, en pourcentage, où les médias relaient les prises de position de certains acteurs, ainsi que les leurs.