J’étais invité mardi 19 avril au colloque « Lys de la Diversité du Québec » qui se tenait dans la salle des Boiseries de l’UQAM. Celui-ci a été mis sur pied grâce au président de Médiamosaique, Donald Jean, un journal communautaire montréalais en ligne.

Médias et communautés culturelles : une relation difficile

Je dois dire que j’ai été saisi par la problématique que connaissent les communautés culturelles au Québec pour trouver leur juste place dans les médias. J’en profite pour féliciter les organisateurs de cet évènement qui risque de devenir un incontournable dans les prochaines années s’il continue dans cette dynamique. En fait, quand on prend conscience de la situation, on comprend la difficulté qu’éprouvent les immigrants à trouver un emploi et à s’intégrer au Québec.

L’analyse de presse au secours des communautés culturelles?

L’évènement a débuté avec une présentation de madame Rimok, présidente du Conseil des relations interculturelles. Celle-ci a commencé par présenter les résultats d’une… analyse de presse. Pour un spécialiste comme moi, celle-ci me semblait plutôt sommaire. Elle n’en soulevait pas moins d’importants enjeux et montrait que la place réservée aux communautés culturelles dans les pages des journaux francophones du Québec était extrêmement réduite. Pire : lorsque les médias traitent des communautés culturelles, c’est pour parler de sujets négatifs comme les gangs de rue.

Cette présentation montre sans l’ombre d’un doute l’importance de l’analyse de presse. Cette technique permet en effet de décortiquer le contenu des médias et d’avoir en main des données irréfutables. Évidemment, le choix de la méthode est essentiel : celle-ci doit être scientifique, afin que les résultats soient indiscutables. En évacuant la place laissée à l’interprétation, vous pouvez ensuite affirmer de façon certaine que la place conssacrée aux communautés culturelles est extrêmement réduite et que les médias ont un préjugé négatif à leur encontre. On obtient alors des résultats qui peuvent constituer le fondement d’une prise de conscience et le début d’un changement dans les pratiques journalistiques.

L’analyse de presse devrait donc être l’un des outils privilégiés des organisations militant pour une évolution du discours de presse, qu’il s’agisse d’associations visant à défendre les intérêts des communautés culturelles, ou bien d’autres.

Des journalistes « pure laine » : une question de style!

Madame Rimok a aussi soulevé le problème de la très faible représentativité de personnes issues de l’immigration dans les journaux québécois, ce qui explique leur non-intérêt et leur mauvaise perception de la question. En fait, ce sont généralement des journalistes québécois « pure laine » qui traitent des communautés culturelles. Les deux personnes qui présentaient après madame Rimok, deux journalistes de La Presse, en étaient l’illustration patente puisqu’il s’agissait de parfaits québécois.

Le résultat est sans appel : l’image véhiculée par les grands médias québécois est jugée « caricaturale » et très négative. Rien pour redorer l’image auprès du grand public de ces groupes, qui rappelons le, vivent généralement des situations difficiles, avec un chômage élevé. De là naît une forte incompréhension qui peut se transformer en racisme. D’ailleurs comment expliquer autrement ce qui s’est passé à Hérouxville (cette municipalité de 1000 habitants du centre du Québec avait adopté une série de règlements comme l’interdiction de lapider sa femme en public!)?

Un des deux journalistes de La Presse, madame Perreault, a tenté d’expliquer la faible représentativité de personnes issues de l’immigration par le fait que celles-ci ont un style « différent » de celui qu’exigent les journaux québécois. Elle concède que les journalistes d’origine étrangère sont de qualité mais manifestement ils ne seraient pas capables de s’adapter au style de rédaction québécois! Il est vrai que le style des personnes issues de l’immigration est souvent plus « fleuri » (ils utiliseraient « plus d’adjectifs »!) que celui des québécois. Mais ces gens qui savent parfaitement écrire ne peuvent-ils pas s’adapter facilement?

J’ai du mal à croire l’inverse. Quand je lis des articles dans le Journal de Montréal ou même La Presse, j’ai l’impression que pratiquement n’importe qui pourrait les écrire. Il s’agit de phrases courtes, très espacées. Les articles vont très rarement en profondeur, les journalistes se contentent de rapporter les faits. Je vois mal des gens habitués à écrire des articles plus aboutis ne pas être capables d’arriver à ce résultat…

Journalistes étrangers et médias locaux : tant à partager!

En fait, je suis surpris par ces propos : les journalistes étrangers doivent s’adapter tandis que les médias d’ici n’ont rien à améliorer. Pourtant, il y a de quoi. Je remarque par exemple que les médias québécois rappellent généralement très peu les faits. Prenons l’affaire Cantat qui a dernièrement défrayé la chronique. En écoutant les médias, on comprenait que cette affaire choquait. Mais qu’en était-il précisément du rôle de Cantat dans tout cela? J’ai surtout suivi cette nouvelle à la radio et je n’arrivais même pas à savoir si l’ancien chanteur de Noir Désir devait monter sur scène ou s’il avait simplement composé la musique!

Dans la presse écrite, lorsque le sujet est indiqué, il faut généralement se rendre à la toute fin de l’article. En fait, les journalistes québécois donnent l’impression que leurs lecteurs savent de quoi ils parlent en partant! Évidemment, cette façon de faire n’a pas cours dans de nombreux pays où l’on commence par rappeler les faits. Le plus patant a sans doute lieu dans les pages sportives. Les journalistes font des résumés de matchs mais ils partent du principe que vous les avez déjà vus! C’est aberrant! Très souvent, le score final n’est même pas mentionné! On a même parfois du mal à comprendre quelle équipe a gagné!

Je pense donc que loin d’être un handicap, le style des journalistes étrangers représente plutôt une chance pour les journaux d’ici de se renouveler. Non seulement au niveau du style mais aussi de celui du choix des sujets. Les médias québécois sont très ethnocentriques, ils s’ouvrent peu sur le monde. Un peu de diversité ne nuirait donc pas.

Le Conseil de presse : un organisme au mandat délicat

C’est ensuite le président du Conseil de presse, M. Guy Amyot, qui a pris la parole. Celui-ci a rappellé que si des citoyens relevaient des abus dans les médias, comme par exemple un traitement malhonnête ou déformé d’une nouvelle (ici concernant les communautés culturelles), il pouvait y déposer une plainte. Les intentions sont bonnes. Hélas, il est important de rappeller 2 choses :

  1. Le Conseil de presse n’a aucun pouvoir de sanction
  2. Le Conseil est composé de journalistes, ce qui signifie que ceux-ci sont en conflit d’intérêt. Dans toute corporation, ses membres ont tendance à se protéger. Et le Conseil de presse, comme les autres (par exemple l’Ordre des médecins) ne peut pas y échapper.

On a pris parfaitement conscience de ce deuxième point lorsqu’un membre du public a pris la parole. D’origine japonaise, celui a rappelé les « blagues douteuses »  d’un ancien journaliste du Journal de Montréal. Lors des Jeux olympiques de Nagano, en 1998, celui-ci avait trouvé très drôle de se faire prendre en photo en s’étirant les yeux tout en s’émouvant de la couleur de peau des japonais. Saisi, le Conseil de presse n’avait finalement rien trouvé à redire. Idem lors de l’affaire Saint-Charles-Borromée, qui avait vu le directeur de l’établissement du même nom se suicider suite aux commentaires extrêmement durs de l’ensemble des journalistes…

Médias et communautés culturelles : une facette de la problématique

La matinée s’est terminée avec l’intervention remarquée du président d’Atlas Média (dont j’ai oublié le nom malheureusement). Celui-ci a complété les propos de madame Perreault en rappelant qu’il est l’illustration même du problème existant entre médias et communautés culturelles. Étant lui-même journaliste de profession, il n’a jamais réussi à être engagé par les grands médias québécois.

En fait, ce problème de la non sélection par les journaux d’ici de personnes issues de l’immigration n’est qu’une facette de la problématique à laquelle font face les immigrants : toute la société est ainsi faite et le même problème à l’embauche se retrouve dans toutes les compagnies. On ne peut parler véritablement de racisme mais le fait est que les employeurs préfèrent des gens comme eux plutôt que d’oser le pari de la « diversité ». Généralement, les diplômes et l’expérience acquis à l’étranger n’ont aucune valeur à leurs yeux, sauf dans quelques rares domaines. On ne compte plus les immigrants bardés de diplômes qui ne trouvent rien tandis que les politiques ne cessent de gémir quant au décrochage scolaire!

Il faudrait donc changer de mentalité. Cela passe immanquablement par le discours de presse, on y revient, tant l’impact des journaux sur l’opinion publique est majeur. Madame Perreault nous assure que les choses devraient changer. On ne demande qu’à la croire. Mais on reste sceptique.


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.