Pont ChamplainDepuis que La Presse a révélé les conclusions de deux rapports d’experts remis à Transport Canada selon lesquels « Le pont Champlain est tellement fragile qu’il risque de s’écrouler » (La Presse, 17 mars 2011), de nombreux organismes s’expriment publiquement afin que les gouvernements démarrent au plus vite la construction d’un nouveau pont.

A ce sujet, les lobbys économiques et industriels se font les plus pressants, faisant remarquer que si le pont devait être fermé, Montréal se retrouverait asphyxiée économiquement.  Les médias poussent évidemment en ce sens. Il est vrai qu’il y a urgence : du début des études préliminaires à la mise en service, on parle d’une dizaine d’années. Sachant que la durée de vie de l’ouvrage actuel est estimée à 10 ans, on voit qu’il ne faut plus trop traîner.


Infrastructures : Incapacité à se projeter dans l’avenir

Viaduc de Millau

Cependant, on parle d’un investissement de 6 milliards de dollars (rappelons au passage qu’un ouvrage d’une toute autre envergure, le Viaduc de Millau, à coûté… 400 millions d’euros). Il serait donc bon de ne pas se précipiter et de s’interroger sur ce que seront les besoins dans 50, voire 100 ans (s’il est encore en état!).

Les ressources pétrolières ne sont pas inépuisables et l’on peut s’attendre au cours du prochain siècle à une augmentation sans précédent du coût de l’énergie. Déjà le pétrole s’approche de ses plus hauts historiques et ce n’est surement pas fini. Tout le monde sait que l’ère de l’automobile touche à sa fin mais manifestement personne ne semble le remarquer lorsque l’on parle d’un pont qui aura 2 X 3 voies!

Bien sur, certains veulent croire à la voiture électrique. Mais il s’agit d’un mythe. D’abord, si la voiture en elle-même ne pollue pas, il faut bien qu’elle tire son énergie de quelque part. Ensuite, les batteries, composant essentiel s’il en est un, contiennent de métaux extrêmement rares, appelés justement « terres rares ». Les réserves sont très limitées : actuellement, plus de 90% de la production mondiale est assurée par la Chine.

Cela revient à dire que le mode de transport d’avenir n’est pas la voiture mais bel et bien le transport en commun. En se montrant incapables de se projeter dans l’avenir, nos dirigeants réalisent sans doute les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs, qui avaient cru pouvoir réaliser des ponts au rabais.

 

L’AMT et le ferroutage à la rescousse

Il apparaît donc essentiel de prévoir sur le futur pont une place majeure pour les transports en commun. On en entend cependant peu parler même si l’on évoque assez régulièrement la possibilité d’y ajouter un système de train léger. Cela pourrait changer si le futur pont n’est pas prêt à temps. En effet, il faudra alors trouver d’urgence des solutions de remplacement. Il y en aura deux : l’AMT (Agence de transport de Montréal, en charge des trains de banlieue) et.. le ferroutage!

L’essentiel du trafic sur le pont concerne les banlieusards qui travaillent à Montréal et le transport de marchandise. Augmenter considérablement le nombre de trains de banlieue s’avère donc indispensable. A ce sujet, il est vrai qu’il n’est pas obligatoire que le Pont Champlain comporte une voie ferrée puisque des trains passent déjà par d’autres ponts (Victoria et proche de Mercier). Mais un système de train léger permettrait de connecter très rapidement le centre-ville au terminus Panama, quasiment au pied du pont, à Brossard. A partir de là, les CIT locaux (les organismes chargés du transport par autobus) n’auraient plus qu’à venir chercher les usagers directement au terminus sans devoir traverser sans cesse le Saint-Laurent et donc le pont comme ils le font actuellement. En fait cette solution devrait déjà avoir cours. Mais pour différentes raisons, on continue matin et soir à déployer des plots sur le Pont Champlain.

L’AMT a donc du travail sur la planche en perspective. J’imagine même que l’Agence doit déjà travailler sur un plan d’urgence au cas ou il faille fermer le pont (même temporairement pour y effectuer des réparations). Il doit s’agir là d’un sacré casse-tête car actuellement l’AMT n’a sans doute pas les moyens matériels et humains suffisants pour répondre à un tel évènement. Pourtant, on se souvient que c’est dans un contexte similaire que l’AMT a vu le jour, lorsqu’il a fallu créer un train de banlieue parce qu’il y avait des travaux routiers majeurs qui rendaient l’accès à l’île de Montréal quasiment impossible en voiture. Bref, un problème en apparence insoluble pourrait devenir une solution d’avenir.

Idem pour le transport de marchandises. Depuis de nombreuses années, le ferroutage est en déclin. Ce qui est un non sens alors que tout le monde s’entend pour dire que le transport est responsable en très grande partie de nos rejets en CO2. Il est donc impératif de réaliser un ambitieux plan de ferroutage, sans doute en remettant des péages sur les autoroutes et en incitant (fiscalement?) les compagnies à faire transporter leurs marchandises par train. Quoiqu’on en dise, si Champlain devait être fermé, le ferroutage serait la seule solution pour éviter un effondrement économique de Montréal, voire dans un premier temps pour pouvoir assurer l’approvisionnement de la population en produits de base.

 

Un débat confisqué

La solution ne passe donc pas uniquement par le nouveau Champlain mais par une politique globale de transport à l’échelle de la métropole, voire de la province. Mais on en est loin. En fait, je suis surpris de ne rien entendre à ce sujet dans les médias. Ceux-ci accordent toute leur attention au gens d’affaires tandis que les écologistes semblent absents du débat. Ils auraient pourtant plus que jamais leur mot à dire dans ce dossier. Mais peut-être que préconiser de développer davantage le train face à la voiture est un discours trop idéaliste… et ne tient pas la « route »?

Rappelons alors l’enjeu : on risque de dépenser 6 milliards (voire plus certainement) dans un équipement peut-être rapidement démodé. Voilà qui me rappelle… l’aéroport de Mirabel! Il me paraît donc essentiel de bien réfléchir à ce qui doit être fait avant de se lancer et d’explorer toutes les options possibles avant de répondre les yeux fermés aux cris des gens d’affaire.


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.