Depuis leur « création » dans les années 1910, notamment grâce aux travaux de Edward Louis Bernays, les relations publiques ont du s’adapter au progrès technologique. La radio devait bouleverser les pratiques, tout comme l’arrivée de la télévision puis plus tard l’informatique avec Internet. Il en va de même de l’analyse de presse.

Au début, le chercheur n’avait qu’à se préoccuper des journaux. Puis il a fallu « monitorer » la radio, la télévision et aujourd’hui des milliers de sites Internet. Cependant, la plus grande innovation à laquelle ont affaire les analystes de presse est l’amélioration continue des algorithmes informatiques qui permettent peu à peu aux ordinateurs de lire, d’apprendre et d’analyser. Ainsi, de nombreux logiciels permettent de retracer dans des textes les thèmes les plus abordés et de faire des connections entre eux. Grâce à leur puissance, ils peuvent traiter des milliers de textes quasiment instantanément (ou presque). Tout cela est très prometteur alors que le nombre de sources (malheureusement pas leur diversité) ne cesse de s’accroître.

Néanmoins, actuellement aucun logiciel n’est encore capable d’évaluer le contenu. En tout cas pas à notre connaissance. Mais peut-être celui-ci existe-t-il? Par exemple, les services secrets, dont on nous rabâche sans cesse qu’ils interceptent et traitent des millions de messages chaque jour grâce à l’emploi de mots clés, ont sans doute développé des logiciels qui vont beaucoup plus loin et sont capables de livrer des analyses extrêmement pointues. Mais ces logiciels s’ils existent ne sont pas, à notre connaissance, en vente libre dans le commerce. Et même s’ils l’étaient, à quel prix?

Cependant, force est de reconnaître que les progrès sont stupéfiants et qu’il paraît probable que bientôt des logiciels disponibles à des coûts raisonnables pourront « analyser » d’immenses corpus et que le codage humain aura vécu. Car de nos jours ce sont encore des humains qui évaluent les documents et non les machines. Pensons à divers logiciels comme les PEM ou Mediavantage.

Songeons alors un peu aux conséquences d’un tel évènement. La première est formidable: les analystes n’auront plus à se lancer dans le codage fastidieux de centaines, voire de milliers d’articles. Et le taux d’erreur diminuera (il ne pourra cependant être totalement éliminé, notamment car l’objectivité parfaite n’existe pas et que celle de tout logiciel dépendra au départ de celle de ses programmeurs). Il suffira de rentrer quelques critères puis d’appuyer sur un bouton. Et les résultats s’afficheront. Par exemple, on connaîtra avec précision la teneur du discours des médias à propos de la réforme des retraites en France. Ou des élections aux États-Unis. Ou sur le Registre des armes à feu au Canada. Les chercheurs seront donc comblés.

Cependant, des outils aussi avancés auront une signification incroyable pour l’humanité : pour la première fois de l’histoire, les ordinateurs devanceront les humains. Ils seront capables de réfléchir, d’apprendre. Ils pourront alors tout faire à notre place ou presque. Et voilà que l’on repenses aux scénarii les plus fous des films de science fiction… On n’y est pas encore bien sur, mais ce jour approche. L’annonce dernièrement de la mise au point d’un logiciel capable justement de lire et d’apprendre a de quoi nous faire réfléchir. Évidemment, entre les effets d’annonce et la réalité, il n’y a souvent qu’un pas. Reste que le progrès technique n’a pas fini de nous surprendre.

J’ai ainsi eu la chance d’assister à la démonstration de deux logiciels qui risquent de bouleverser l’industrie des relations publiques. Le premier s’appelle CLIP et est l’oeuvre de l’Institut Format. Il permet de générer automatiquement des communiqués de presse en entrant simplement quelques critères (en répondant aux fameuses questions qui, quand, ou, comment…). Par exemple, il peut s’agir d’un accident qui a eu lieu sur l’autoroute 10 à 16h30 et qui impliquait un poids lourd. En rentrant ces simples données, le logiciel rédige automatiquement un communiqué de presse qui peut être diffusé dans le seconde. Encore plus fort : en utilisant des images d’archives et une « voix off », il est possible de réaliser en quelques secondes un reportage préliminaire qui peut être mis à disposition des grands réseaux de télévision. Sachant que ceux-ci ont toujours moins de moyens, il ne paraît pas impossible qu’à plus ou moins long terme ce genre de procédés soit de plus en plus employés.

Un autre logiciel produit par la société Document Image Solution m’a également séduit. Celui-ci permet de réaliser la transcription automatique de documents audio ou vidéo. Fini les coûts exorbitants pour réaliser la transcription de nouvelles. Celles-ci sont désormais réalisables instantanément. Le logiciel est abonné aux principaux médias et permet dans un premier temps la sélection des nouvelles par des mots clés… avant de faire le travail.

Bref, la technologie progresse. Elle ne permet pas encore de remplacer les humains mais à la vitesse ou cela va, il ne parait pas irréaliste de penser que dans quelques années il ne suffira plus en effet que de presser sur un bouton pour obtenir le ton de la presse et de scruter en détail ce que disent les journaux. Plus que le remplacement d’humains par des machines, ce sont les implication sur nos démocraties qui doivent nous amener à réfléchir. Il y a quelques années les journaux titraient à la une : « les médias scrutés à la loupe ». Ceux-ci avaient eu vent d’une analyse de presse que nous avions réalisée pour un ministère et s’en étaient plutôt offusqués, bien qu’ils sachent que ces pratiques sont pourtant parfaitement légales et pratiquées chaque jour (on ne fait que lire les journaux…).

Quand on voit ce dont sont capables les autorités pour dénicher les sources des journalistes (cas de la source du journaliste du Monde dans l’affaire Betancourt en France par exemple où les services de renseignements ont utilisé illégalement les rapports téléphoniques du journaliste), on se dit qu’ils n’avaient pourtant encore rien vu!


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.