Le Pont Mercier, Montréal

Il y a à peine trois semaines, La Presse publiait un petit article dans lequel j’affirmais que la solution à des fermetures probables du Pont Champlain était le rail. C’est finalement le Pont Mercier qui fait des siennes. Et le rail n’a jamais eu autant sa chance dans la métropole depuis des décennies. Mais répond-on ainsi efficacement à tous les besoins?

 

 

Le rail : une solution…

En effet, je déclarais que j’étais certain que l’AMT (L’Agence métropolitaine de transport) avait un plan d’urgence en cas de fermeture du pont. Et l’Agence en avait effectivement un : quelques heures seulement après l’annonce de la fermeture du pont, l’AMT était capable d’ajouter un train, ajoutant deux départs supplémentaires aux heures de pointe. Un véritable succès! D’autant que d’après les premiers chiffres, la fréquentation de la ligne Candiac a augmenté de 20 %!

 

… Actuellement limitée

Cependant, tout n’est pas rose car finalement le problème ne se posait pas tant dans le sens de l’heure de pointe que dans l’autre direction. En effet, les deux voies encore en service du pont sont ouvertes dans le sens de la pointe, ce qui signifie qu’il n’y a aucune différence pour les automobilistes qui traversent le fleuve, puisqu’ils ont toujours à disposition autant de voies qu’auparavant.

Le problème est pour les gens qui vont dans le sens inverse de la pointe. Ceux-ci ne peuvent plus emprunter le Pont Mercier, qui leur proposait deux voies. Il ne reste que les deux voies sur Champlain, et celles-ci sont clairement insuffisantes : les chroniqueurs à la circulation indiquent que les délais d’attente aux ponts dans le sens contraire de la pointe sont pires que pour ceux qu’ils croisent!

Il apparaît donc qu’il faudrait aider ces gens, qui ne peuvent prendre le train, et pour cause : les trains n’embarquent des passagers que dans un sens, celui de la pointe, et ne s’arrêtent pas dans l’autre sens! Il faudrait installer des arrêts provisoires mais cela ne se fera pas, c’est certain. Reste donc le bus, qui est plus lent et est pris dans le trafic lui-aussi, car les bouchons de circulation débutent bien avant les voies réservées.

 

Un discours de presse étonnant

La situation pour les personnes qui traversent le fleuve dans le sens inverse de la pointe est donc horrible. Mais étonnamment, les médias ne parlent pas de ces pauvres gens et saluent l’ajout du nouveau train. Une bonne chose comme on l’a vu, mais insuffisante pour régler le vrai problème qui est l’accessibilité des gens qui se déplacent dans le sens contraire de la pointe!

Autre point étonnant : la publicité donnée à la constitution d’un comité pour atténuer les heures de pointe. Comme si un comité allait pouvoir « atténuer » les heures de pointe! Celui-ci est constitué de ministres et d’élus locaux. Malheureusement, ces derniers ne prennent pas les transports en commun, ils sont coupés des réalités, et il n’est pas étonnant de voir qu’il a fallu une semaine pour que l’on se décide à ouvrir les 2 voies restantes du Pont Mercier dans les deux sens aux heures hors pointe!

Et manifestement, le problème des personnes coincées alors qu’elles sont dans le sens inverse de la pointe ne les atteint pas : on vient d’annoncer la prolongation de l’ouverture des voies réservées pour les autobus sur le pont Champlain. Celles-ci seront ouvertes 30 minutes supplémentaires le matin et le soir. Cela signifie davantage de troubles pour les automobilistes qui vont dans le sens inverse de la pointe, ceux qui sont déjà le plus largement pénalisés et qui ne peuvent prendre le train! Tout cela promet!

On se demande ce que l’on attend pour consulter massivement la population…

 

Pas de coupable!

Autre point étonnant, la presse ne cherche pas de coupable. Alors qu’il s’agit généralement de sa première préoccupation, dans cette affaire, il n’y a pas de coupables et les autorités s’en sortent remarquablement bien. Aucun mot non plus sur la corruption qui gangrène le Québec et pourrait expliquer les montants faramineux des chantiers ainsi que la mauvaise qualité des routes et des ouvrages d’art! Au contraire, on nous explique que la gestion du chantier du Pont Mercier, en travaux depuis 2008!, est excellente et que les dépassements de coûts sont tout à fait justifiés…

Mais au moins n’a-ton pas sacrifié à la sécurité, ce qu’il faut saluer. Qui se souvient encore de ce pont de Minneapolis qui s’était effondré en août 2007, faisant 5 morts et plus de 60 blessés?

Pont de Minneapolis

Effondrement du Pont de Minneapolis

 

Une situation pas si mauvaise pour certains…

S’il n’y a pas de coupable, il y a cependant des gens que la situation réjouit. Tous ceux qui voient les « banlieusards » comme d’affreuses personnes qui viennent bloquer les rues du centre de Montréal sont ravis. Eux qui ne cessent de dénoncer « l’étalement urbain » et en ont assez de ces « 450 » qui viennent polluer et bloquer « leurs » rues, inconscients qu’ils sont que le taux de vacance du Plateau et des quartiers centraux est très faible et que peu de gens peuvent se permettre d’y louer un appartement.

Le maire de Montréal est étrangement discret. Dans son esprit, même s’il ne le dira pas, il s’agit certainement d’un bon coup pour Montréal. Déjà on parle d’un nouvel intérêt pour des logements situés proches du centre. Dans le même temps, c’est le prix des maisons sur la Rive-sud qui en pâtit. Mais ce n’est pas son problème, encore moins celui de Luc Ferrandez, maire de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, le chasseur de voitures qui ne propose aucune solution alternative.

Ce le sera peut-être davantage quand ils verront les étalages des magasins se vider, tant l’approvisionnement par camion va devenir délicat… Étonnamment, personne ne parle encore de relancer le ferroutage. Mettre des péages sur les autoroutes (et non les ponts, ce qui pénalise uniquement les habitants des rives sud et nord et non les banlieusards les plus aisés situés sur l’île de Montréal) serait un bon début… Mais les libéraux étant au plus bas dans les sondages, inutile d’espérer les voir prendre une mesure aussi impopulaire.

 

Quelles solutions?

Puisque l’on parle de solutions, quelles sont-elles? Il faut bien avouer qu’il y a très peu d’alternatives. La solution passe donc par le rail, comme je l’ai dit au début. Il faudrait que très rapidement il soit possible de monter à bord des trains de banlieue dans les deux sens. Cela offrirait une belle alternative aux gens qui prennent leur voiture dans le sens contraire de la pointe.

A plus long terme, il faudrait connecter cette ligne au terminus d’autobus Panama, à Brossard, en face du Pont Champlain. Il faudra que cette ligne puisse ensuite emprunter la voie de chemin de fer projetée sur le nouveau Champlain. La ligne Candiac pourrait alors faire un aller-retour de la gare Lucien-Lallier à une autre station dans le centre-ville de Montréal. Elle pourrait prendre tous les usagers qui prennent le bus pour traverser le Pont Champlain, ce qui résoudrait le problème de la voie réservée, alors qu’en 2011 on en est toujours à mettre des plots, matin et soir, pour la former!

 

Fermeture du Pont Mercier : les transports en commun grands gagnants?

En tout cas, les grands gagnants de cette « crise » sont les transports en commun et l’on ne peut bien sur que s’en féliciter. Il est dommage cependant d’avoir du attendre un tel évènement, mais c’est ainsi. Déjà, comme je le disais dans mon article de La Presse, le train de banlieue avait été mis en place dans les années 1990 uniquement pour proposer une alternative aux automobilistes bloqués par d’importants travaux sur l’autoroute 15. C’est son succès qui a convaincu les responsables de rendre l’expérience permanente. L’histoire se répète…

Il est à espérer maintenant que les sociétés de transport livreront la « marchandise ». C’est une occasion unique pour elles de convaincre les automobilistes de leur accorder leur confiance. Cependant, je n’y crois pas vraiment. Tout simplement car lorsque les choses retourneront à la normale, la plupart des nouveaux usagers verront dans leur voiture de nombreux avantages, au premier desquels se trouve… le chauffage! En effet, aucune gare, même pas le terminus d’autobus Georges-Gagné, à Delson, où transitent chaque jour des milliers d’usagers, n’ont d’abris chauffés! Comment voulez-vous dans ces conditions attirer un plus grand nombre d’uilisateurs quand ceux-ci, plutôt que d’attendre tranquillement au chaud en buvant leur café de Tim Horton dans leur voiture, se gèlent par -20 degrés en attendant leur train et/ou bus?

Il est étonnant de constater que les autorités peuvent investir des milliards pour un pont tandis qu’elles sont incapables d’installer des abris de trains et des terminaux d’autobus chauffés, ce qui coûterait seulement quelques millions, voire peut-être moins si c’était bien géré (un cabanon coûte 1000$, et encore, la plupart des gares ont déjà des abris, une chaufferette 20$, une minuterie 10$). Des PPP, eux que l’on aime tant, pourraient être réalisés avec certaines enseignes. En échange d’un abri chauffé, elles pourraient offrir leurs services comme la vente de café, de beignes, etc. La population raffole de ces petits à-côtés. Voilà qui ferait d’une pierre deux coups et assurerait le développement à moindre coût des transports en commun…

Autre problème : la concurrence que se livrent les sociétés de transport. Ainsi, le train de banlieue est en concurrence avec l’autobus, géré par une société locale. Tout cela génère des conflits entre agences et nuit au développement harmonieux des transports! Il est incroyable de constater à quel point les usagers peuvent être pris en otage à cause de simples luttes de pouvoirs et d’égos.

Voilà résumé toutes les contradictions du système et expliqué pourquoi la population n’utilise pas massivement le transport en commun!


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.