Je publie ici un article paru en 2 parties sur le site de Regards RP, la revue de la SQPRP (Société québécoise des professionnels en relations publiques).

Les médias sociaux ont-ils un si grand pouvoir d’influence?

(1re partie)

 

Christian Leray, M.A., président, Prisme Média, société spécialisée en analyse de presse

 

Qu’ont en commun les révolutions arabes, le chef de guerre africain Kony, l’entreprise Lassonde (qui commercialise les jus Oasis) et la grève étudiante? Tous marqueraient l’avènement des médias sociaux, qui deviendraient chaque jour davantage incontournables et menaceraient les médias. Mais est-ce vraiment si simple? Tentative d’analyse.

En quelques semaines, les médias sociaux ont retenu l’attention plus que jamais en montrant coup sur coup les effets d’une campagne positive et d’une campagne négative. Tout d’abord, la vidéo dénonçant les atrocités commises par le chef de guerre africain Kony a été visionnée par plus de 100 millions de personnes en 6 jours, ce qui en a fait la vidéo la plus rapide de l’histoire à avoir atteint ce niveau. Puis, il y a quelques jours, c’est une entreprise québécoise, Lassonde, propriétaire des jus Oasis, qui a fait parler d’elle.

Ces deux évènements ont généré d’innombrables commentaires et je ne tenterai pas de paraphraser tout ce qui a déjà été dit, notamment à propos de Lassonde : l’erreur de la compagnie qui n’a pas intégré les relations publiques dans sa stratégie, la place peut-être trop dominante de son service juridique, le manque de coordination avec le gestionnaire de communauté, etc.

 

Bref, tout le monde en convient : nous entrons dans une nouvelle ère dans laquelle aucune organisation n’est à l’abri d’une campagne négative dans les médias sociaux, celle-ci pouvant s’avérer désastreuse en cas de mauvaise gestion. Inversement, il apparaît que les médias sociaux sont pleins de promesses puisqu’ils permettent de rejoindre à moindres frais un large public et de susciter engagement et conversion. La campagne Kony 2012 en est l’éclatante illustration. Certains vont même plus loin en affirmant que le Printemps arabe est dû principalement aux médias sociaux.

Arrivé là, la question est de se demander s’il est juste de leur reconnaître un tel pouvoir d’influence.

Kony 2012 : un plan de communication exceptionnel

Quand on regarde de plus près le « phénomène » Kony 2012, qui a d’ailleurs pris une étrange tournure, mais là n’est pas le débat, on constate que cette vidéo n’a pas été lancée « simplement » sur YouTube. Ce n’est pas un hasard si seulement quelques heures après son lancement des vedettes comme Rihanna, Georges Clooney, Angelina Jolie et Bill Gates ont appuyé le message de la campagne. Même Barack Obama l’a soutenue publiquement. Cela signifie qu’un magistral plan de communication a permis de baliser le terrain. Grâce à un réseau exceptionnel, les initiateurs du projet ont réussi à faire passer leur message auprès de personnes extrêmement influentes. Tout cela a créé un immense « buzz », ce qui a assuré son succès. La « viralité » des médias sociaux a ensuite fait le reste.

Les campagnes web 2.0 « classiques » ne bénéficiant pas généralement de tels soutiens, ni de tels moyens, il est clair qu’il s’agit d’une exception. Quelque part, on retrouve là le mythe américain, c’est-à-dire l’idée selon laquelle quelqu’un parti de rien peut réussir. Occultant le fait que chaque succès éclipse de nombreux échecs.

 

Les jus Oasis : quand la presse traditionnelle alimente les médias sociaux

Contrairement à Kony 2012, les jus Oasis sont l’illustration d’une campagne négative sur les médias sociaux, la première au Québec selon la plupart des commentateurs. Pourtant, que remarque-t-on? Que tout a été déclenché « après que La Presse eut relaté la bataille judiciaire que livre une petite entreprise pour pouvoir utiliser le mot «Oasis» dans sa marque de commerce » (La Presse, 7 avril 2012).

«  (…) on peut légitimement se poser la question de savoir si c’est la presse traditionnelle, forte de ses millions de lecteurs, téléspectateurs et auditeurs, qui a eu le plus d’influence, ou si c’est Twitter (…) »

 

C’est troublant car il apparaît que tout commence encore avec la presse traditionnelle. Sans l’effet loupe du média sur ce sujet, aucune polémique sur les réseaux sociaux n’aurait vu le jour. Rappelons qu’en une semaine (du 7 au 14 avril), la presse traditionnelle a consacré à cet événement une place démesurée. Une recherche rapide sur Google News ou Eureka permet de recenser plus d’une soixantaine d’articles parus dans les journaux entre le 7 et le 14 avril. Si l’on y ajoute la télévision et la radio, on réalise qu’il y a eu un véritable matraquage de la part des médias grand public. À partir de là, on peut légitimement se poser la question de savoir si c’est la presse traditionnelle, forte de ses millions de lecteurs, téléspectateurs et auditeurs, qui a eu le plus d’influence, ou si c’est Twitter, qui atteint 9 % de la population[1], comme à peu près tout le monde semble le dire[2]

 

La semaine prochaine, nous continuerons de nous interroger sur la véritable influence des médias sociaux.

 


[2] Pour montrer à quel point Twitter est considéré comme l’élément qui a fait plier Lassonde, voici un extrait d’une chronique de Patrick Lagacé (publiée sur Lapresse.ca) le 11 avril 2012 : « L’article [de sa collègue Christiane Desjardins qui a révélé les faits], repris par les internautes sur Twitter, où bien des Québécois ont jonglé avec l’idée d’un boycott des produits de Lassonde, a mis à mal la (belle) image d’Oasis. Twitter a bel et bien créé le ressac qui a forcé Industries Lassonde à faire preuve d’une parcelle d’humanité à l’égard de Deborah Kudzman, après sept ans d’avocasseries désincarnées. »


 


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.