kony-2012« C’est un véritable déluge de commentaires négatifs et d’appels au boycottage qui a déferlé sur les réseaux sociaux APRÈS [ndla : C’est moi qui met en majuscule] que La Presse eut relaté la bataille judiciaire que livre une petite entreprise pour pouvoir utiliser le mot «Oasis» dans sa marque de commerce. » (La Presse, 7 avril 2012). Dans cette phrase tout est dit : toute la tempête qui a suivi « la bataille judiciaire » origine d’un article d’un média traditionnel!

 

 

En clair, contrairement à ce que tous les « experts réseaux sociaux » ont pu affirmer suite à cet évènement, on se rend compte que tout part encore de la presse traditionnelle. Sans l’effet loupe du média sur ce sujet, aucune polémique sur les médias sociaux n’aurait vu le jour.

 

Une nouvelle fois, on se rend compte de l’influence incroyable qu’exerce la presse sur le façonnement de l’opinion publique.

J’ai d’ailleurs visité le lieu de la contestation : la page Facebook des jus Oasis. On constate que les personnes qui commentent ne cessent de citer… La Presse. Épatant! Une nouvelle fois, on se rend compte de l’influence incroyable qu’exerce la presse sur le façonnement de l’opinion publique. C’est fascinant!

 

Les médias sociaux sont totalement à la ramasse de la presse traditionnelle. Ils ne créent pas l’évènement, ils ne sont qu’un lieu de réaction.

En outre, qu’en est-il de cette contestation? Parle-t-on d’une vague de dizaines de milliers de consommateurs-citoyens, voire plus? Non, rassurez-vous, il ne s’agit que de quelques centaines de personnes. Y-a-t-il la création d’une page de contestation ou d’appel au boycott? J’ai cherché et j’en ai trouvé une qui a… 7 membres! Pendant ce temps, la page Facebook des jus Oasis elle comporte encore plus de 34000 fans. Merci pour elle!

Dans cette affaire, les médias sociaux sont en fait totalement à la ramasse de la presse traditionnelle. Ils ne créent pas l’évènement, ils ne sont qu’un lieu de réaction. Mais voilà, « les médias sociaux ont fait la preuve de leur pouvoir à faire plier même les plus grosses compagnies », nous disent les « experts », qui ajoutent évidemment que « de telles vagues de mécontentement risquent de se multiplier dans un avenir proche ».

 

la presse québécoise se défend extrêmement bien et fait mentir le fait qu’elle serait si mal en point

Malheureusement les faits sont têtus : cette histoire, qui fera l’objet à ne pas manquer de diverses études de cas lors de formations sur les médias sociaux, montre au contraire que le pouvoir des médias est toujours central. Sans eux, il n’y aurait pas eu d’affaire, tout simplement. Évidemment, si Lassonde, l’entreprise qui vend les jus Oasis, s’était obstinée, qui sait ce qui serait advenu?

Mais il est tout de même intéressant de se demander où étaient Facebook et Twitter et leurs « supers pouvoirs » durant toutes ces années puisque cela fait 7 ans que cette histoire dure.

Notons que comme je le dis depuis que je tiens ce blogue, que la presse québécoise se défend extrêmement bien et fait mentir le fait qu’elle serait si mal en point. D’ailleurs, selon les dernières données Nadbank, La Presse progresse de 2%, Le Devoir continue son envolée (+11%!) tandis que les quotidiens gratuits gagnent plus de 30000 lecteurs chacun! Une très belle performance sachant que le nombre de médias ne cesse d’augmenter (mais malheureusement pas le nombre des sources qui lui diminue inexorablement) tandis que les jeunes préfèrent accéder à l’information gratuitement plutôt que, comme leurs parents, payer pour. Mais il est toujours de bon ton de parler de crise des médias, de leur disparition a terme et de leur recherche continuelle d’un « nouveau modèle d’affaires ».

Après Kony 2012 et son super plan com qui a pu faire croire qu’il s’agissait d’un phénomène inné profitant uniquement de la « viralité » des réseaux, les stratèges médias sociaux tiennent leur exemple négatif avec les jus Oasis. Le tout en moins de 10 jours! Ce printemps est du pain béni pour eux et ils pourront ressasser ces deux cas en boucle.

Pourtant, quand on prend un peu de hauteur, que voit-on? Que Facebook est loin d’être une nouveauté (ce site a été créé en 2004) et que pour le moment aucune campagne négative sérieuse n’y a eu lieu. En fait, il est extraordinaire que ce soit une histoire presque anodine (même si la situation vécue par la personne poursuivie a du être extrêmement difficile à vivre) qui soit le premier cas de « viralité négative ». On aurait pu s’attendre à des contestations plus importantes sur des enjeux de société comme les minières, le gaz de schiste, voire la grève (pardon le boycot) étudiante.

 

Les organisations n’ont quasiment rien à craindre si elles restent vigilantes comme l’a été Lassonde

A ce sujet, je suis allé voir ce qui se passait sur Facebook. Et j’ai trouvé un foyer de contestation extrêmement influent qui menace le gouvernement : le groupe « Oui à la grève générale étudiante ». Je suis certain que ses 2041 membres font trembler Jean Charest qui n’en dort plus la nuit!

Pour le reste, je n’ai pour le moment pas encore vu de vrai cas de « viralité négative ». Et je doute qu’il y en ait qui émergent, du moins spontanément. Car cela se fera à la suite soit :

  • d’un plan com parfaitement orchestré, comme pour Kony 2012
  • à la suite de nouvelles dans les médias « traditionnels », comme pour les jus Oasis

Rappelons que selon les données officielles de Facebook, il y avait « 2 752 100 [membres] au Québec en 2008« . Je pense donc que s’il avait du y avoir des campagnes citoyennes négatives majeures sur les médias sociaux, on en aurait déjà vu plusieurs. Mais on ne voit toujours rien venir et comme je le dis depuis longtemps, je pense que les organisations n’ont quasiment rien à craindre si elles restent vigilantes comme l’a été Lassonde.

Enfin, comme pour toutes ces affaires en lien avec les médias sociaux, interrogez-vous et rappelez-vous comment vous avez été mis au courant. Personnellement, je l’ai appris en parcourant Lapresse.ca. Et chaque matin je me tiens informé de « l’actu des médias sociaux » en écoutant… le 98,5FM, et oui (pendant les interminables chroniques culturelles de Radio-Canada)!

N’est-ce pas le monde à l’envers?

 


Christian Leray

Christian Leray est le président de Prisme Média, une société spécialisée en analyse de presse. Il profite d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'analyse du contenu des médias. Il a notamment dirigé le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM et a publié en 2008 un ouvrage aux Presses de l'université du Québec: L'analyse de contenu, de la théorie à la pratique.