Le gouvernement du Québec s’apprête à effectuer une importante hausse des droits de scolarité, ce qui pourrait avoir pour conséquence de limiter l’accessibilité aux études supérieures. On pourrait croire que cette décision viendrait de gens aigris qui auraient échoué dans leurs études ou d’autodidactes aux idées rétrogrades. Mais pas du tout : les membres du gouvernement, à quelques rares exceptions, semblent atteints de diplômite aigue et sont des cumulards à ce sujet. Explications.
Prisme Média s’est lancée dans la réalisation d’une petite étude sur la « diplomation » de nos chers ministres. Pour se faire, nous avons fait quelques rapides recherches sur le site de l’Assemblée nationale du Québec, qui fournit une biographie succincte de tous les députés. Nous n’avons considéré que les diplômes universitaires, c’est à dire à partir d’un bac. Et ce que l’on y apprend n’est pas inintéressant :
- Ne pas avoir de diplôme n’est pas forcément un handicap au Québec pour réussir en politique. Sur 27 ministres, deux n’ont aucun diplôme!
- Cependant, si vous voulez réussir en politique, nous vous conseillons de faire des études de droit : le tiers des ministres a étudié dans ce domaine et 19% sont avocats (5), dont le premier-ministre himself.
- En fait, la moyenne de diplômes universitaires par ministre est de 1,9, soit 2, sachant que deux d’entre eux n’ont aucun diplôme. Le nombre de diplômes va de zéro à… quatre!
- Mais généralement les ministres ont un ou deux diplômes (9 fois chacun). Cinq en ont trois.
- Logiquement, le diplôme le plus détenu est le bac (44%). Il devance la maîtrise (22%) et le doctorat (15%). Un ministre a un post-doctorat, et oui!
- Certains ministres sont des cumulards de bacs et en on terminé trois!
- Nos ministres sont donc des puits de science. Dommage qu’ils n’oeuvrent pas dans leurs domaines de prédilection : c’est le cas pour seulement six d’entre eux! Cela signifie que malgré leurs hauts niveaux d’études, 78% de nos ministres agissent dans des domaines pour lesquels ils n’ont aucune compétence particulière, pour ne pas dire aucune!
Il ressort de cette petite étude que les membres du gouvernement sont des champions universitaires. Ils ont eu la chance d’aller à l’université et il est clair que c’est ce qui leur a permis d’avoir la carrière qu’ils ont. On peut dire qu’ils profitent donc largement du fait d’avoir pu étudier.
Dans ces conditions, ils sont parfaitement conscients de l’importance d’étudier et de l’accessibilité des études. Il est dommage de voir qu’ils ne fassent pas profiter à leurs enfants des avantages qu’ils ont connu.
L’opinion d’un ancien étudiant
Me concernant, je dois avouer que je suis pour une augmentation, encore faut-il que celle-ci soit raisonnable. Je n’ai pas oublié que lorsque j’étais étudiant j’ai failli tout lâcher par manque d’argent. Un mois, il ne me restait que 400$ sur mon compte en banque avec aucun emploi en vue (comme j’étais étudiant étranger, je ne pouvais que travailler sur le campus de l’université, ce qui compliquait énormément ma tâche pour simplement survivre).
J’ai clairement été en mode survie tout au long de mes études au Québec. Je mangeais pour 1$ par repas! Avec mon colocataire, nous faisions une épicerie de 3 semaines pour 2 personnes pour… 80$.
400$, ça c’est donc joué à très peu de choses. Miraculeusement, j’ai obtenu une bourse qui m’a littéralement sauvée. Il serait dommage que cette hausse force de nombreuses personnes à abandonner leurs études. C’est pourtant ce qui risque d’arriver sachant que les taux de décrochages sont déjà très élevés. D’ailleurs à ce sujet, comment s’en étonner quand on sait que l’on peut bien gagner sa vie sans diplôme alors que s’endetter pour en obtenir un ne garantit absolument pas d’obtenir un bon emploi bien rémunéré? Les balayeurs et chauffeurs de bus (pour ne prendre que ces deux exemples) gagnent certainement beaucoup plus que de nombreux doctorants…
La gratuité, un cadeau empoisonné
D’un autre côté, je ne souscris pas aux demandes des étudiants qui réclament la gratuité scolaire. C’est une aberration. En France, l’université est quasiment gratuite et c’est une catastrophe. Car les étudiants n’ont pas conscience des coûts qu’ils génèrent et s’inscrivent à des programmes sans réelle conviction. Le niveau d’enseignement dans les universités françaises fait très pale figure comparé aux universités québécoises. Lorsque, par miracle, vous sortez diplômé du système universitaire, vos chances de trouver un emploi dans votre domaine sont minces (sauf dans certains secteurs comme médecine ou en enseignement, encore que…).
Du coup, en France un système parallèle de « grandes écoles » (ingénieur et gestion-marketing) s’est constitué. Contrairement à l’université qui accueille tout le monde, l’entrée dans ces écoles se fait sur concours, est très difficile et surtout… très chère. Comptez plus de 10 000$ par an pendant 3 ans, juste en frais d’inscription! Toute l’élite française est diplômée de ces écoles. L’Exception (qui confirme la règle) est le président français, Nicolas Sarkozy, qui a fait fac de droit.
Des études payantes? Une chance!
Le système français est donc très élitiste et très inégalitaire, tout le contraire de la perception communément admise. Au Québec, l’université est payante mais reste abordable. En travaillant, un étudiant peut subvenir à ses besoins et se payer son inscription (ce qui n’est pas le cas pour un étudiant inscrit dans une grande école française, le nombre d’heures de cours et le nombre de travaux à réaliser étant effarant). C’est même excellent car contrairement aux français qui ne travaillent pas avant d’avoir fini leurs études, les québécois connaissent déjà bien le monde de l’entreprise lorsqu’ils arrivent effectivement sur le marché du travail. Cela réduit donc le chômage des jeunes, qui atteint des niveaux surréalistes en France, les patrons rechignant clairement à former ces jeunes qui arrivent sans quasiment aucune compétence pratique.
Également, le fait de devoir payer pour ses études est une chance. Car quand on paye, on est en droit d’obtenir un service de qualité. Ainsi, au Québec les professeurs sont évalués… par les étudiants! Chose impensable en France! Même si les professeurs sont globalement protégés (je parle en connaissance de cause), un enseignant qui obtiendrait régulièrement de mauvaises évaluations pourraient voir sa carrière freinée. En France, les universités recellent de mauvais profs sans que cela ne gène absolument personne…
Mauvaise gestion et hausse des frais de scolarité
Selon moi, une hausse des frais de scolarité est acceptable. Mais celle-ci devrait être raisonnable et suivre simplement le rythme de l’inflation. Nos chers ministres auraient-ils été capables d’étudier et d’avoir la carrière qu’ils ont eu avec le montant des frais qu’ils veulent mettre en place?
On peut également ajouter qu’il est extrêmement cynique, à une époque où des gens incompétents font perdre des millions et des milliards (ex: l’Îlôt voyageur, 500 millions $, les pertes de la Caisse de dépôt, 40 milliards $ alors que son PDG, bien qu’ayant démissionné a reçu une prime de départ de 300 000$) de voir que l’on fait porter le fardeau aux étudiants (ce n’est pas dit comme ça mais cela revient à cela).
En parlant de pertes de millions de dollars, je ne peux m’empêcher de revenir sur la gestion calamiteuse de nos chantiers. Lorsque l’on apprend que 9km d’autoroute coûtent 440 millions $ (autoroute 30), qu’un simple échangeur va coûter plus de 300 millions $ (échangeur Dorval sur l’A20), que le train de l’Est voit son coût doubler (et ce n’est pas fini), qu’un simple pont va être probablement le plus cher pont au monde (le pont Champlain, 5 milliards $… pour le moment!) bref que nos infrastructures nous coûtent aussi chers, comment s’étonner qu’il ne reste plus rien pour les étudiants?
L’opinion publique, nerf de la guerre
Finalement, la société a fait son choix : des routes plutôt que des têtes pleines. Mais je concluerai sur cette remarque : le gouvernement n’est pas fou. Tout le monde sait que l’on s’en va en élections. Pourquoi alors se mettrait-il la population à dos? Tout simplement car contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas le cas! Ainsi, les sondages montrent que l’opinion publique est pour la hausse des frais de scolarité!
Bref, en cassant du sucre sur le dos des étudiants, le gouvernement engrange électoralement. Ceci n’a rien d’étonnant puisque 74,4% de la population n’a pas de diplôme universitaire (chiffre 1998)! Mais ça les étudiants ne semblent pas l’avoir compris, et ce n’est pas en bloquant les ponts que les choses changeront. Encore qu’ils sauvent peut-être des vies (rappellons que le pont Champlain est menacé « d’effondrement partiel » selon deux rapports officiels de Transport Québec).
Alors, merci qui?